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l’idée primitive, et l’enthousiasme chrétien qui s’est heureusement emparé de la doctrine platonicienne, se sentent même sous le style diffus de la scholastique, comme le soleil se sent sous le brouillard[1].

J’ai suffisamment indiqué les ressemblances entre la doctrine de Platon et le mysticisme chrétien. Je dois maintenant noter les différences ; il y en a deux qui sont caractéristiques :

La première est le dédain, et j’allais dire la haine, que le mysticisme chrétien a pour l’amour terrestre. Platon s’en sert comme d’un acheminement à l’amour du beau ; le christianisme le tient pour un obstacle qu’il faut rompre. Dans Platon, la beauté des choses d’ici-bas attire nos premiers hommages ; mais elle nous enseigne en même temps à les porter plus haut. Le christianisme n’admet pas cette halte dangereuse que Platon nous fait faire dans l’amour terrestre : il craint que nous ne soyons tentés de nous arrêter en chemin ; il nous pousse donc, dès le commencement, du côté de Dieu, et oppose hardiment l’amour divin à l’amour terrestre. De quelques vertus que la doctrine platonicienne veuille parer l’amour humain, cet amour est un péché, voilà son nom dans la doctrine chrétienne ; il faut donc le fuir. À cette haine de l’amour je reconnais la doctrine qui prêche la virginité.

Ainsi, entre la doctrine chrétienne et la doctrine platonicienne il y a une différence dans la méthode, puisque Platon prend l’amour humain comme un des degrés de l’amour du beau suprême, et que le christianisme le prend, au contraire, comme une entrave. Il y a aussi une différence dans le but proposé à l’amour.

Le beau que Platon nous enseigne à aimer est une idée qui touche à Dieu, car c’est l’idée du beau infini, et tout ce qui est infini touche à Dieu. Cependant cette idée du beau infini, à la comparer avec Dieu tel que le christianisme nous enseigne à l’aimer, a quelque chose de vague et de confus. Elle est pure ; mais, à mesure même qu’elle s’épure de degrés en degrés, il semble qu’elle s’évapore. Elle a ce qu’il faut pour charmer l’imagination et pour l’élever, elle est la meilleure des inspirations littéraires ; mais, pour attirer l’ame, pour la posséder par l’amour, elle manque un peu de réalité. Elle ne la touche pas comme le Dieu notre père qui est au ciel ; elle ne se l’attache pas comme le Dieu fait

  1. Écoutez comment parle Gerson dans son traité de la pratique et de la théologie mystique : « Tout ce qu’il y a dans l’homme de spirituel et de divin est séparé, à l’aide de l’amour vivifiant, de tout ce qu’il y a de terrestre et de corporel. C’est ainsi que se fait la division de l’esprit et du corps, c’est-à-dire de la spiritualité et de la sensualité ; c’est ainsi que l’or se distingue du plomb ; et, comme Dieu est pur esprit, et que la ressemblance des choses est la cause de leur union, on voit comment l’esprit de raison, ainsi purifié et dépouillé de ses souillures, s’unit à l’esprit de Dieu, parce qu’il devient semblable à cet esprit. »