Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des vallées tyroliennes et les austères réformés de la vieille Prusse, dans l’ancien empire germanique, concentrent leur existence, comme s’est concentrée leur histoire, aux murs de leurs cités et aux horizons qu’ils embrassent, et, si la suspicion contre l’étranger réunit parfois les cœurs dans les mêmes antipathies, la vie nationale est encore à naître au sein de ces peuples, contraints, pour s’élancer dans l’avenir auquel on les convie, de sauter à pieds joints par-dessus tout leur passé. La Suisse, malgré les violences d’un parti aussi étranger à son histoire qu’aux principes de la sociabilité, reste ce que Dieu l’a faite, une collection de grandes municipalités séparées par leurs croyances plus profondément encore que par leurs montagnes. L’Allemagne elle-même est une grande Suisse, où de faibles souverainetés luttent au hasard contre une opinion publique qui ne sait malheureusement quel cours se donner à elle-même. Partout enfin l’incertitude du but à atteindre et l’absence de direction pour y marcher attestent le vice originaire de ces sociétés, qui ne sont pas développées comme la nôtre d’après un plan naturel et uniforme.

Il n’est pas plus donné aux chancelleries qu’aux factions de corriger la nature et de suppléer au temps. C’est en vain qu’on proclame avec éclat l’unité primitive des races allemandes, qu’on lui élève des temples et qu’on prononce sur ce thème de solennelles harangues. L’archéologie ne saurait faire les miracles qu’on lui demande ; une nationalité ne se compose pas, comme un mémoire à l’Académie des Inscriptions, à coups de textes pédantesquement colligés ; il n’est pas donné aux plus grands hommes, même aux plus grands princes, de suppléer aux réalités par des formules, aux libertés constitutionnelles par des théories historiques.

Il suffit de mettre en regard de ces créations artificielles de la force et de la politique cette individualité française au sein de laquelle la vie circule incessamment du centre aux extrémités, pour faire comprendre son ascendant moral sur l’Europe dont elle est l’ame. La formation de cette grande unité nationale, le travail des hommes convergeant vers le même but que celui des siècles, pour commencer par les mains de Louis-le-Gros l’œuvre qui s’achève sous Louis XIV, sans qu’aucune vicissitude ait jamais détourné la France du but assigné à ses efforts et à sa fortune, c’est là un des plus imposans spectacles qu’ait présentés l’histoire. Il constitue à lui seul l’intérêt principal de nos annales ; c’est par là que celles-ci se transforment en une vaste épopée, qui enlace dans le cadre d’un plan divin tous les caprices des hommes et tous les accidens des choses.

Pour atteindre un tel but, la Providence a donné à la nation choisie par elle une succession de souverains et de ministres, tous dévoués à la même pensée, et qui tous ont cherché leur grandeur au service de