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espérances ; mais la différence des intérêts, celle non moins profonde des points de vue, n’y sont point déterminées par des influences locales, et les opinions n’y connaissent pas de frontières. La Lorraine et la Bretagne, l’Artois et la Provence, n’ont pas une manière propre de juger les événemens qui intéressent la nation ; et, lorsque celle-ci est divisée par les factions, l’élément territorial reste étranger aux inspirations qu’elles reçoivent comme aux déterminations qu’elles peuvent prendre. C’est pour maintenir les droits sacrés de la conscience, et non pour retrouver une existence distincte, que la Vendée a livré ses héroïques combats ; et, si la Gironde fit appel aux départemens contre Paris, ce fut pour résister à l’oppression d’un parti, non pour réveiller le souvenir d’un passé dont elle était fort ignorante et fort peu soucieuse.

Lorsque l’on compare cette situation, si fortement assise sur la conscience de tous, à celle des principaux états européens, qui ont moins à compter avec leurs voisins qu’avec eux-mêmes, on a le secret de notre puissance morale et des ombrageuses susceptibilités qu’elle excite. L’Allemagne se débat dans un travail stérile pour relier les membres épars du vaste corps au sein duquel la réforme introduisit le germe d’une division incurable. Séparée par la paix comme par la guerre, par les actes de Westphalie aussi bien que par les victoires de Frédéric II, elle n’a retrouvé, depuis 1815, une sorte d’unité dans son action extérieure que par l’effet des appréhensions qu’elle éprouve, et voici qu’après une compression de plus de trente années, l’Autriche s’émeut au réveil du génie guelfe en Italie, au spectacle d’une assemblée délibérante siégeant à Berlin ; voici qu’elle entend au fond des steppes de la Hongrie et jusque dans les calmes cités de la Bohême retentir, dans un idiome long-temps étouffé sous la langue des vainqueurs, des cris de menace et d’espérance. L’empire britannique est plus que jamais divisé contre lui-même, et l’Irlande demeure à toujours pour l’Angleterre une plaie, une expiation et un opprobre. Au nord de l’Europe, la Suède n’a, depuis trente ans, d’autre souci que de s’assimiler la Norvége ; la Russie est arrêtée dans son expansion naturelle vers le Bosphore par les convulsions de la Pologne, aussi redoutable dans ses chaînes qu’elle le fut jamais dans sa liberté. Au midi, la péninsule espagnole témoigne, par ses efforts infructueux pour parvenir à l’unité politique, des résistances que lui oppose la triple barrière élevée par les traditions, par les mœurs et par les intérêts. Si des conjurés dans leurs ventes et des rêveurs dans leurs écrits célèbrent les destinées promises à la jeune Italie, à la jeune Suisse, à la jeune Allemagne, les populations qu’on s’efforce de rapprocher par des étreintes convulsives plutôt que par des sympathies véritables ne restent pas moins profondément divisées. Les Romagnols et les Vénitiens, les Florentins et les Lucquois, en Italie ; les Rhénans et les Anséates, les naïfs chasseurs