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un sceau indélébile ; cette unité a façonné le caractère de la nation en même temps qu’elle a décidé de sa fortune. En recevant de Dieu l’énergie nécessaire pour résister à l’Europe qui la pressait dans un cercle de fer, la France n’a pu manquer d’acquérir une grande force d’expansion extérieure pour ses idées, car la puissance de dilatation est toujours proportionnelle à l’énergie centrale ; elle a dû contracter des habitudes intellectuelles analogues à la loi en vertu de laquelle elle s’est trouvée constituée, et son esprit logique s’est façonné par l’élément générateur de son histoire. Marchant droit à son but par une seule voie et sans ambages, elle s’est efforcée de réaliser ses idées aussitôt qu’elle les a conçues, et, ne séparant jamais la théorie de l’application, elle est devenue le plus logique et dès-lors le plus naturellement révolutionnaire des peuples.

Les périls contre lesquels elle eut à se défendre depuis son berceau jusqu’aux jours de ses plus glorieux triomphes ne pouvaient manquer de donner à ses enfans des mœurs toutes militaires : aussi ce peuple est-il une armée et la France est-elle un camp. Lorsqu’elle ne fait pas la guerre, elle semble toute dévoyée dans le monde et comme embarrassée d’elle-même. Nos malaises intérieurs n’ont pas une autre cause. L’oeuvre de transformation pacifique, tentée de nos jours par une royale sagesse, ne sera si grande devant la postérité que parce qu’elle est si difficile : ce n’est pas seulement contre l’esprit de révolution que le prince éminent appelé au trône en 1830 a dû engager une lutte persévérante ; pour rejeter la France de la guerre dans la paix, des champs de bataille dans les ateliers, d’une vie de hasards dans une vie de calculs, il a fallu triompher du vieux génie de la nation appuyé sur dix siècles de son histoire.

Si le mode d’après lequel s’est formée la France l’avait prédestinée à la gloire des armes, il était loin de l’avoir préparée à la pratique de la liberté, et rarement les précédens d’un peuple furent plus en opposition qu’ils ne l’étaient au début de la révolution française avec l’œuvre d’organisation constitutionnelle qui s’opérait alors. La guerre déclarée pendant tant de siècles à toutes les existences indépendantes avait ôté à tout le monde le goût autant que l’habitude de l’indépendance. La nation, qui n’avait fait de grandes choses qu’à l’impulsion et au profit du pouvoir royal, avait perdu toute spontanéité et ne marchait plus sans être conduite. La noblesse la plus brave de l’Europe était aussi la plus dénuée d’esprit politique. En prodiguant son sang sur tous les champs de bataille, de Bouvines à Fontenoi, elle s’était crue quitte envers la patrie, et ne s’était jamais inquiétée ni de représenter les intérêts de la nation ni même de défendre les siens. Les légistes, qui l’avaient supplantée dans la confiance royale, eurent une carrière marquée par deux