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phases distinctes : dans la première, ils furent les instrumens ardemment dévoués de la couronne ; dans la seconde, ils tentèrent d’absorber à leur profit une large part de sa puissance ; mais, dominés par l’esprit de corps qui resserre les ames autant que l’esprit de parti les dilate, les membres austères des parlemens, véritables moines de la vie laïque, se préoccupèrent bien plus de conquérir des pouvoirs étrangers à leur institution que d’exprimer la vie nationale, aux ardentes émotions de laquelle leur impassibilité les laissait étrangers. Dans cette abdication générale de toutes les forces constituées, la royauté était donc devenue, par la nature des choses, la seule autorité vraiment nationale, la seule qui fût comprise et aimée du peuple. Elle n’était pas, comme aujourd’hui, une partie intégrante des institutions : c’était, à bien dire, la constitution tout entière. On comprend dès-lors quel abîme dut s’ouvrir lorsque la foudre frappa le trône et que la société française fut ainsi renversée par sa base. A part les livres des philosophes et l’enceinte de quelques académies, la liberté n’avait pas un asile duquel elle pût sorti pour prendre possession de cette terre qui l’invoquait pourtant avec des cris de rage : elle était restée étrangère aux mœurs aussi bien qu’aux institutions. Aussi, dès les premières difficultés, la nation n’éprouva-t-elle aucun scrupule à suspendre la jouissance de ce bien idéal dont elle n’avait ni l’instinct, ni l’habitude, et qu’elle ne connaissait encore que par les vagues théories de Jean-Jacques Rousseau et les systématiques combinaisons de Montesquieu.

Toutefois, si ses précédens historiques étaient loin de préparer la France à la vie publique et aux mœurs constitutionnelles, ils la prédisposaient admirablement pour le régime de l’égalité civile aussi bien que pour celui de l’unité administrative. Autant la révolution rencontra d’obstacles pour organiser l’exercice des droits politiques, autant elle trouva de facilités pour abolir les privilèges qui séparaient encore les castes et pour imposer à tous le niveau du droit commun. Le doublement du tiers-état, l’abolition des trois ordres, leur fusion dans une assemblée unique, l’égalité des impôts, l’admissibilité de tous les citoyens aux charges publiques, la renonciation à toutes les prérogatives et même à toutes les distinctions nobiliaires, tout cela fut opéré en quelques jours d’entraînement, parce qu’en cela l’œuvre de la révolution avait pour racine l’œuvre du temps.

Suger, saint Louis, Duguesclin, Louis XI, Henri IV, Richelieu, avaient déblayé par l’épée et par la hache le terrain où l’assemblée constituante s’assit en souveraine ; Mirabeau fut le successeur logique de ces grands réformateurs, tous ignorans de la portée définitive de leur mission, mais tous remplis de confiance en elle. En abolissant la noblesse, on s’inspirait d’une idée à laquelle les victoires de la royauté