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LA


CHOUANNERIE DANS LE MAINE.




JAMBE-D'ARGENT ET MONIEUR JACQUES.





I.

Tous les peuples ont deux histoires, l’une qui se plaît aux vues d’ensemble et ne marche qu’escortée de documens authentiques, l’autre curieuse de détails, mêlée aux événemens privés, et relevant de la tradition. La première ressemble à ces fleuves du Nouveau-Monde qui emportent tout dans leur cours puissant, mais dont l’œil n’aperçoit que les grandes ondulations ; la seconde est un de ces ruisseaux au bord desquels on s’asseoit pour regarder jusqu’au fond, cueillir les brins de joncs et compter les cailloux. Pour tous, il y a des jours où l’air des hauteurs étourdit, où les immenses horizons fatiguent, où le regard aime à descendre vers les lieux bas, afin de se reposer sur l’étroite closerie qu’encadrent les vieux troncs d’aubépine. Alors on s’arrête aux épisodes familiers du grand poème : sortis des palais officiels de l’histoire, nous nous oublions à écouter les récits que les jeunes filles font à la source du village, ou les vieillards sur le seuil. La prévention s’y montre souvent, l’ignorance toujours, mais du moins on y trouve la vie. C’est ainsi que le peuple a vu, qu’il a entendu, qu’il a senti. S’il