Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/646

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raconte inexactement ce qui a été, il raconte naïvement ce qu’il est lui-même ; ses erreurs ne sont point des mensonges, ce sont des vérités relatives, qu’il s’agit de remettre à leur place ; son tort comme son mérite est d’écrire perpétuellement le roman humain sur les feuillets de l’histoire. — C’était le désir de connaître cette chronique populaire des plus célèbres chouans qui m’avait conduit aux Boutières[1] et qui m’amenait de nouveau chez un autre témoin de ces luttes aventureuses.

Celui-ci administrait les ames de l’une des paroisses les plus pauvres du Bas-Maine. Le patrimoine que lui avait laissé sa famille suppléait à l’insuffisance des ressources curiales et l’aidait à briser chez ses paroissiens les aiguillons les plus envenimés de la misère. Aussi la reconnaissance avait-elle fait pour son nom ce que la flatterie fait pour le nom des rois : ne pouvant parler de lui sans rappeler son inépuisable bonté, les gens du pays s’étaient accoutumés à prendre la qualité pour l’homme, et, au lieu de répéter sans cesse le bon curé, ils avaient fini par dire simplement le Bon, comme si une pareille désignation n’eût pu laisser aucun doute. Le propriétaire du Moulin-Neuf lui-même, malgré son mépris philosophique pour toute croyance qui ne ressortait pas directement des quatre règles, m’avoua que M. le Bon passait pour la providence du canton. — Il les abrutit bien un peu de superstitions sur le bon Dieu et son paradis, ajouta-t-il, mais il a endoctriné les parens pour la vaccine, il distribue pour rien des médicamens, il enseigne les nouvelles cultures, et il vient d’appeler une sage-femme dans la commune. C’est bien encore le moins mauvais d’eux tous.

Cet éloge négatif avait, dans la bouche de mon conducteur, une éloquence qui accrut mon empressement à voir M. le Bon. Il fut donc convenu qu’en retournant chez lui, le meunier ferait un détour qui lui permettrait de me laisser à la cure, où j’étais annoncé et attendu.

Nous prîmes par des routes sauvages, tantôt enfouies sous les haies et entrecoupées de flaques d’eau verdâtre, tantôt serpentant à travers les friches d’où s’élevaient des volées de lourdes perdrix, tantôt longeant le bord des ruisseaux qui gazouillaient parmi les osiers. En passant près d’un hêtre, je montrai à mon compagnon un de ces trous que le pivert creuse pour son nid, et qui était recouvert de plusieurs lames de fer. — Ah ! oui, me dit le meunier en riant, c’est l’ouvrage de quelque curieux du pays qui veut se procurer l’herbe qui coupe. Le pivert passe chez nous pour un oiseau savant qui a voyagé et qui connaît les bons coins. Si vous lui fermez sa maison, comme vous le, voyez là, il vole à l’instant même vers une montagne où pousse une plante merveilleuse qui brise le fer, et, après s’en être servi pour rentrer chez lui, il la laisse tomber sur le morceau de drap rouge placé au-dessous.

  1. Voyez la livraison du 15 septembre 1847.