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heures de combat. A peine avait-il eu le temps de relever ses blessés, qu’un second détachement parut. La lutte, cette fois, fut plus longue, mais se termina encore à l’avantage des chouans. Enfin, au moment où ceux-ci reformaient leur bande dispersée, un troisième détachement se présenta à l’improviste et ne se retira qu’après avoir perdu une vingtaine d’hommes.

Ces engagemens successifs s’étaient prolongés jusqu’au soir. Les chouans, qui tombaient de lassitude et de faim, ne songeaient plus qu’à trouver une retraite lorsqu’une colonne de cinquante patriotes les atteignit en vue des bois de la Chapelle du Bourg-le-Prêtre, et recommença l’attaque. La partie était, cette fois, trop inégale. Jambe-d’Argent ordonna à ses gens de se jeter derrière les buissons et de gagner le fourré, tandis qu’il restait en arrière pour rallier les traînards et occuper l’ennemi ; mais, presque à la lisière du bois, une balle l’atteignit au moment où il faisait face aux bleus, lui laboura la poitrine et sortit par-dessous son épaule. En le voyant tomber, tous les chouans s’arrêtèrent.

— Ce n’est qu’un homme mort, dit Jambe-d’Argent, qui vomissait des flots de sang ; sauvez la bande et laissez-moi.

— Non pas, s’écria Priou ; nous avons été ensemble tout petits, et, s’il plaît au bon Dieu, nous mourrons le même jour. Que les autres amusent un peu les patauds, moi je me charge de t’emmener.

Et, enlevant Jambe-d’Argent dans ses bras, il courut avec lui jusqu’au fourré, où les bleus cessèrent de les poursuivre.

Le soir même, Treton fut transporté dans la métairie des Gennétés, tandis que des messagers partaient pour chercher un prêtre et un médecin. Le médecin vint sur-le-champ, examina la blessure, et déclara qu’elle n’était point mortelle ; mais le prêtre sur lequel on comptait se trouva absent. On s’adressa à un second, vieux et malade, qui ne put quitter sa retraite, puis à un troisième qui eut peur. Enfin, de proche en proche, on arriva jusqu’à M. le Bon. Ses convictions et son ministère lui faisaient un devoir d’accueillir la prière qui lui était adressée ; il prétexta une visite à des parens afin de ne pas effrayer sa mère, et suivit le messager.


III.

Mon guide, me dit le vieux curé, était un mendiant perclus de la jambe droite, qui se traînait péniblement sur un seul pied. Je pensai que le voyage serait singulièrement prolongé par les lenteurs d’un pareil compagnon ; mais à peine fûmes-nous à la lisière des taillis qu’il releva sa béquille et se mit à marcher devant moi d’un pas leste. Nous atteignîmes ainsi, en peu de temps, une petite closerie où il annonça son