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« Travaille, travaille, travaille, misérable esclave ! Travaille dès que le coq chante. Travaille quand les étoiles brillent. Travaille jusqu’à ce que le vertige gagne ton cerveau. Travaille jusqu’à ce que tes yeux alourdis s’obscurcissent. Travaille jusqu’à ce que le sommeil te dompte, et qu’en rêvant tu achèves ta misérable besogne… »


Ne vous y trompez pas, il y a dans cette imprécation des familiarités saisissantes, des détails pittoresques que le génie timide de notre langue repousse, et qu’il faut renoncer à traduire. L’ouvrière parle en ouvrière dans l’original. Ces coutures qui absorbent sa vie, elle les nomme chacune par son nom :

Seam, and gusset, and band ;
Band, and gusset, and seam.


Et son odieux travail, elle ne l’ennoblit pas, lui qu’elle hait. Stitch ! stitch ! stitch ! s’écrie-t-elle sans vaines précautions de rhétorique :

Till over the buttons I fall asleep
And sew them on in a dream.

Tout le reste est sur ce ton, d’une violence et aussi d’une puissance très grande ; mais il ne faut pas songer à rendre de pareils effets, qui, pour être compris, ont besoin de la cadence, de l’harmonie, de l’ordre fatal et du sens exact des mots. Comment exprimer en français ces douleurs si vraies de la femme condamnée, non pas seulement à la faim, au dénûment, mais à des souillures, à une sordidité qui lui répugnent ?

Stitch ! stitch ! stitch !
In poverty, hunger, and dirt

Et combien de mots ne faudrait-il pas pour rendre les deux vers qui suivent ceux-ci :

Sewing at once, with a double thread
A Shroud as well as a Shirt !

Pourtant, çà et là, éclatent des pensées tout-à-fait shakespeariennes :

« Que parlé-je de la mort ? Et pourquoi craindrais-je ce squelette sinistre, lui qui me ressemble, lui dont la faim m’a donné l’aspect ? Grand Dieu ! faut-il que le pain soit si cher et la chair humaine si bon marché ?

Oh ! rien qu’une heure, une heure courte, un moment de répit ; rien que respirer un instant la douce odeur des primevères, les pieds dans l’herbe, le ciel au-dessus de ma tête ; rien qu’une heure pour vivre comme autrefois, avant que les angoisses du besoin me fussent connues, avant d’avoir appris qu’une promenade coûte un repas !…

« Pleurer un peu soulagerait mon cœur, mais dans leur calice amer il faut