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plus ou moins bien famés. L’appartement fut comme illuminé par les reflets et les éclairs du riche bijou que le marquis promenait sous tous les yeux avec une indifférence de bon goût. Grand Dieu ! s’écria Mlle de Vaubernier, quel superbe diamant vous avez au doigt ! Il est à vous, mademoiselle, répondit Baudron avec la magnificence du feu roi Louis XIV, acceptez-le comme un souvenir ; seulement, permettez-moi d’aller le déposer demain à l’heure de votre toilette sur votre boîte à parfums. La Gourdan toucha du genou sa jeune pensionnaire, et la demoiselle ne répondit rien au marquis ; c’était répondre. Celui-ci ne fut pas très étonné de voir sa proposition si peu discutée. Il connaissait la maison. Revenant soudainement non pas sur ses offres, il était trop homme du monde pour cela, mais sur un simple incident de la négociation déjà si avancée, il pria Mlle de Vaubernier de remettre au surlendemain l’honneur qu’elle lui faisait de le recevoir le lendemain même. Il en était au désespoir, mais il était obligé de se rendre, ce à quoi il n’avait pas d’abord pensé, à Fontainebleau, pour le service de la cour. Jeudi, à l’heure de la toilette de Mlle de Vaubernier, il se présenterait chez elle ; il la priait de lui conserver jusque-là sa bienveillance. Le marquis de Baudron se remit ensuite au jeu. Le lendemain, il courut chez un joaillier du Pont-au-Change, et il se fit monter une bague exactement semblable de forme et d’éclat à celle qu’il portait au doigt. L’heureux moment arrivé, il fut directement introduit par une femme de chambre dans le boudoir de Mlle de Vaubernier. Quand il en sortit, il n’avait plus au doigt la fameuse bague. Il était à peine hors de la maison, que la Gourdan fit appeler un joaillier pour lui vendre le superbe diamant évalué par elle au moins deux cents louis ; mais au premier coup d’œil celui-ci affirma que le diamant était faux et ne valait pas deux cents sous. Là-dessus épouvantable colère, rugissemens de la matrone trompée. Elle combina mille projets de vengeance ; elle ne s’arrêta à aucun, de peur d’augmenter par un scandale inutile un mal déjà assez grand. Elle remit le poignard dans le fourreau. Le soir, on jouait encore dans ses salons, et le marquis eut l’audace de se présenter. La première personne vers laquelle il alla, ce fut Mlle de Vaubernier, qui, en lui rendant la bague, lui dit avec une indignation étouffée : Tout cela est aussi faux que vous. Quelques minutes après cette scène presque muette, le marquis mit lestement la bague fausse dans la poche et replaça la véritable à son doigt, et tous les joueurs de s’extasier de nouveau sur l’incomparable beauté de ce diamant. -Vous raillez, dit le marquis, ce diamant est faux : on l’a jugé ainsi dans cette maison, où l’on s’y connaît. — Faux ! allons donc ; cinquante pistoles ! cent pistoles ! s’écrie un amateur, que cette bague est fine. — On tient le pari. Les premiers joailliers de la ville sont appelés, et tous certifient qu’elle vaut réellement deux cents louis. Indicible confusion de la