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Gourdan, embarras de Mlle de Vaubernier. Quels regrets ne sont pas les siens ! Mais, la prenant en douce pitié, le marquis lui dit tout bas : — Demain cette bague vous sera rendue. Voulez-vous que ce soit toujours à la même heure ? — Et le lendemain, Mlle de Vaubernier, pure de toute défiance, recevait une seconde fois le faux diamant. Le marquis de Baudron avait gagné son pari, et largement gagné, puisqu’il n’avait pas seulement trompé une fois la Gourdan et sa pupille, mais bien deux fois, ce qui donna à l’aventure des proportions et un retentissement extraordinaires.

Pour les besoins de la cause, comme disent les avocats, l’auteur des Anecdotes sur madame la comtesse Du Barri veut qu’elle se soit trouvée face à face un jour dans cette maison à deux portes avec son parrain, M. Du Monceau, et qu’il en soit résulté une scène héroï-comique des plus émouvantes. Cette rencontre romanesque est trop préparée pour qu’elle ait jamais eu lieu. Le livre de Morande, qui renferme, on en convient, beaucoup de faits vrais, perd tout crédit auprès du lecteur par l’exagération, l’invention calomnieuse et la brutalité vindicative du style. Le seul fait qui mérite de nous arrêter au milieu des mille épisodes de cette jeunesse agitée, c’est la rencontre de Jeanne de Vaubernier avec Jean Du Barri dans une maison de jeu tenue par une marquise Du Quesnay, logée rue de Bourbon. Le comte ne menait pas une vie exemplaire, puisqu’on l’appelait le roué et le rouable. Il aima Mlle de Vaubernier, et il n’est pas douteux qu’il fut sincèrement aimé d’elle. La preuve, c’est qu’il la battait beaucoup et qu’elle ne tenta jamais de le quitter. Jean Du Barri l’avait ensorcelée pour la vie. Il ne se borna pas à la faire servir à ses plaisirs, il imagina de l’employer à sa fortune, qu’il rêvait dans des proportions gigantesques. La fortune alla plus loin encore que le rêve de ce Gascon ambitieux. Le comte Jean Du Barri était de Toulouse. Ce n’était pas, du reste, un homme ordinaire, il s’en faut. Possesseur, lui aussi, d’une Manon Lescaut, il avait l’ame autrement large et trempée que le pâle et pleurard Des Grieux. On n’aurait pas déporté sa maîtresse en Amérique ; il eût plutôt déporté le lieutenant de police et tous ses suppôts. Ni l’ivresse du jeu, ni les fumées du vin, ni les langueurs de l’amour ne l’empêchaient d’étendre son regard ferme et loin. La corruption n’a pas, dans sa riche galerie, de figure plus hardie et plus belle. Constamment derrière cette jeune femme, dont il changea, dès qu’elle fut en sa possession, le nom insignifiant de Lançon pour celui de L’Ange, il lui souffla son ame ardente et cupide ; il la força à penser par lui, à n’agir que par lui, à marcher dans ses pas, et, de leur double abaissement, il se créa un marchepied superbe pour arriver jusqu’au trône, et cela sans que la tête lui ait jamais tourné, sans que le pied lui ait jamais failli.

C’est en 1768 que Lebel, premier valet de chambre du roi, et Jean