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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/819

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Le siècle précédent, chacune des charmantes nièces du cardinal Mazarin avait pu avoir sans crime un nègre à son service, soit pour porter l’éventail à la promenade, soit pour soulever la queue des robes, traînantes ; mais Zamore, fort beau nègre et fort élégant, fut accusé d’être un des nombreux caprices de sa maîtresse, et l’on eut l’air de se scandaliser beaucoup de cette excentricité.

Presque tous les mets qu’on servait au roi aux petits déjeuners de Luciennes étaient ambrés ou musqués. Le duc de Richelieu avait mis en vogue ces deux aphrodisiaques orientaux, et beaucoup d’autres dont le secret est totalement perdu de nos jours. C’est dans l’un de ces déjeuners pleins d’abandon et de faiblesse que Louis XV apprit avec un étonnement dont il pâlit, dit-on, l’étrange prétention de Mme Du Barri d’être présentée à la cour. Dubois voulant être ministre n’étonna pas davantage le régent, et tous les deux, Mme Du Barri et Dubois, arrivèrent pourtant à leurs fins. Dubois fut ministre, Mme Du Barri alla à la cour. Rien n’est puissant comme ce qui rebondit de bien bas. Aussi le mot du même Dubois à un homme qui lui disait : « Soyez tranquille, monseigneur, j’irai loin, je suis bâtard, » est d’une grande profondeur. Dubois lui dit : « Mais êtes-vous bien sûr, monsieur, d’être bâtard ? »

Il était rare que le roi, pendant les déjeuners de Luciennes, ne donnât pas quelque cadeau de prix, parure en diamans ou parure de perles, à sa maîtresse, qui les gardait très soigneusement, bien qu’elle ne sût rien conserver pour elle. Louis XV n’était ni grand ni généreux comme Louis XIV, mais il fut le roi des femmes par son excessive galanterie dans les petites choses. Il créa les dons de portraits, de tabatières, de services de porcelaine, de magots de la Chine, de bagues, de médaillons, de montres. Il fut la poésie légère de la royauté.

Un charme plein de nouveauté pour Louis XV, pendant les premières années de son intimité avec Mme Du Barri, ce fut de rencontrer en elle un ton de liberté, et, s’il faut le dire, de licence, qui le dédommagea des ennuyeuses maîtresses de qualité qu’il avait eues autrefois, les Châteauroux et les Pompadour, et le consola de ses tristes plaisirs du Parc-aux-Cerfs. Il adorait le laisser-aller de cette jeune femme qui n’épargnait personne en passant en revue la cour de Versailles. Elle traitait, les poings sur la hanche et la vulgarité la plus pittoresque aux lèvres, les belles dames titrées, comtesses, duchesses, princesses, qui n’étaient si jalouses d’elle que parce qu’elles ne pouvaient pas avoir sa place. Elle les déshabillait impitoyablement ; elle nommait au roi leurs amans, et lui disait une à une toutes leurs intrigues, qu’elle savait à l’aide d’une police qui lui coûtait, à la vérité, fort cher. C’étaient des révélations étourdissantes, des propos dont le roi recueillait l’esprit et le poison, pour le communiquer à ses fidèles le lendemain à son petit lever.