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biens de son mari, Guillaume Du Barri. Par une faveur toute spéciale, il nous a été permis de lire dans les archives secrètes de la Sainte-Chapelle les deux arrêts qu’elle obtint, le premier au Châtelet, le second au parlement.

Sa demande en séparation adressée au Châtelet est ainsi conçue : « À ce qu’il lui plût ordonner qu’elle serait autorisée à continuer de vivre retirée d’avec son mari pour éviter les mauvais traitemens qu’elle avait à craindre de sa part et encore pour voir dire qu’elle serait et demeurerait séparée de corps et d’habitation avec ledit sieur comte Du Barri, et défense d’user envers elle de voies de fait… » Guillaume Du Barri la maltraitait-il réellement ? N’était-ce pas une comédie arrangée entre lui et elle pour arriver à la séparation sans le scandale d’un double consentement ? Voici le jugement que rendit le Châtelet : « Nous, après qu’il en a été délibéré sur les pièces et dossiers des parties, disons que la partie de Château (nom de l’avocat de Mme Du Barri) sera et demeurera séparée de corps et d’habitation de Bégon (nom de l’avocat du mari) ; faisons défense à ladite partie de Bégon de la hanter et fréquenter ; condamnons la partie de Bégon aux dépens. Jugé en la chambre du conseil, ce 27 mars 1772. Signé Dufour, lieutenant civil. » Au faible intervalle de temps écoulé entre cet arrêt et celui du parlement, sur appel du mari, à une époque où les formes judiciaires étaient d’une lenteur proverbiale, on juge de l’intérêt pressant qu’avait Mme Du Barri à faire prononcer la séparation. Au bout d’un mois, le parlement, qui était, comme on sait, le dernier degré de juridiction, rendait cette sentence : « La cour, ayant égard aux preuves résultantes de l’enquête faite par la partie de Rimbert (nom de l’avocat de Mme Du Barri), faisant droit sur l’appel, met l’appellation au néant, ordonne que ce dont est appel sortira son plein et entier effet ; condamne la partie Delignoux (avocat du mari) en l’amende de douze livres et aux dépens des causes d’appel. »

Heureusement que le scandale rêvé par la comtesse, comme le couronnement de sa vie, ne se réalisa pas. Dieu eut pitié de la France. Le roi approchait à grands pas de la tombe, mais sans se réformer pourtant, sans se souvenir des paroles de son premier médecin Lamartinière, auquel il avait dit : Je crois qu’il est temps d’enrayer. — Non, sire, lui avait répondu celui-ci, mais de dételer.

Le matin, encore au lit, Mme Du Barri recevait dans cette chambre les artistes et les princes, comme eût pu le faire une fille des Médicis. Si des hauteurs de son oreiller elle lançait ses pantoufles à la tête du chancelier Maupeou, ou se les faisait présenter par le nonce du pape et le cardinal de la Roche-Aymon, elle admirait à demi nue, mais attentive, l’esquisse d’un tableau commandé à Greuze ou à Vernet, et discutait le dessin d’une aiguière avec son graveur. Elle avait dans sa ruelle sa cour de