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comme on vous y a calomniée ; les notables y sont déjà, ils raient de leurs souliers ferrés les dalles de marbre où vos pieds de nymphe se posaient à peine. Mais vous ne savez peut-être pas ce que c’est qu’un notable ? C’est un homme qui veut voir clair dans les affaires du pays, qui veut que le prince ne gouverne pas, qui veut que la reine n’ait pas d’amans, qui veut que le roi n’ait pas de maîtresses. — Est-il possible ? oh ! mon Dieu ! — Voulez-vous encore, madame, aller à Versailles ? — Mais oui. — Mme Du Barri n’y alla pas cependant, quoique le duc de Choiseul fût mort dans l’oubli, comme le duc d’Aiguillon, étouffé par le poids de sa disgrace. L’horizon était en feu aux quatre points cardinaux, la révolution tonnait dans l’ombre. Le dîner des gardes-du-corps eut lieu : on sait les conséquences de ce défi ou de cette imprudence. Les gardes-du-corps qui ne furent pas massacrés s’éparpillèrent dans les environs de Versailles ; beaucoup se souvinrent de Luciennes, et allèrent, tout pâles et tout ensanglantés, sonner à la grille du pavillon. Mme Du Barri les recueillit, elle les soigna comme s’ils ne venaient pas de risquer leur vie pour une reine qui ne la détestait plus, mais qui avait gardé entre les plis de sa lèvre autrichienne bien des rancunes et bien des dédains de femme froissée. Cet acte de périlleuse générosité rapprocha les deux ennemies. Voici la lettre que Mme Du Barri écrivit à la reine, qui l’avait fait remercier pour les soins qu’elle donnait aux gardes-du-corps : « Ces jeunes blessés n’ont d’autres regrets que de n’être point morts pour une princesse aussi digne de tous les hommages que l’est votre majesté. Ce que je fais pour ces braves est bien au-dessous de ce qu’ils méritent. Je les console, et je respecte leurs blessures quand je songe, madame, que, sans leur dévoument, votre majesté n’existerait peut-être plus ! — Luciennes est à vous, madame ; n’est-ce pas votre bienveillance qui me l’a rendu ? Tout ce que je possède me vient de la famille royale ; j’ai trop de reconnaissance pour l’oublier jamais.

« Le feu roi, par une sorte de pressentiment, me força d’accepter mille objets précieux avant de m’éloigner de sa personne ; j’ai eu l’honneur de vous offrir ce trésor du temps des notables ; je vous l’offre encore, madame, avec empressement. Vous avez tant de dépenses à soutenir et de bienfaits sans nombre à répandre ! Permettez, je vous en conjure, que je rende à César ce qui est à César. »

La reine n’accepta pas, mais dès ce moment toute haine s’évanouit dans son ame, qui devait se préparer pour des épreuves moins douces.

Nous voici arrivé aux deux faits principaux, aux deux dernières scènes de la vie de Mme Du Barri. Nous voulons parler du vol de ses diamans et de son voyage en Angleterre, où elle prétendit aller les chercher. Quelques-uns ont cru et beaucoup croient encore à ce vol ; d’autres, et parmi les royalistes et parmi les républicains, le nient hautement