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choses à sa fantaisie, mais de les prendre comme elles sont et où elles sont. On a blâmé lord Elgin d’avoir arraché des sculptures au Parthénon et dégradé le temple à son profit ; on a blâmé Morosini d’avoir brisé l’un des frontons pour l’emporter à Venise : c’était certes mutiler un édifice qui déjà menaçait ruine ; cependant le reproche le plus juste qu’on puisse leur faire, c’est peut-être d’avoir voulu paraître amoureux des arts sans l’être en réalité, et d’avoir cru qu’il importait à la gloire de l’Angleterre et de la république vénitienne d’exposer aux yeux des leurs les ouvrages de Phidias, comme si l’on pouvait comprendre une telle œuvre hors du pays où elle est née. Il n’en est point de l’art comme de la science, qui procède par des idées et n’a pas besoin du sentiment pour établir ses inductions. C’est en vain qu’un homme recueillera à grand’peine tous les passages des auteurs anciens où il est question des peintures des temples et des édifices publics : s’il n’a vécu parmi ces monumens eux-mêmes, s’il ne les a habités, si la nature qui a inspiré les architectes ne l’a pénétré et inspiré lui-même, il sera sans doute un érudit, mais il n’aura pas l’intelligence de ces œuvres, il ne les jugera pas en artiste. Que manquera-t-il ? Deux choses : la vérité du sentiment et celle du point de vue.

Ainsi donc, de ce que parmi les ornemens du Parthénon les sculptures soient plus souvent citées que les peintures dans les écrits des anciens, conclurons-nous que celles-ci étaient d’une moindre importance dans l’architecture antique ? Non sans doute : les bas-reliefs de Phidias devaient attirer l’attention et faire parler d’eux, car ils étaient une œuvre unique en leur genre ; mais de quel intérêt eût été pour des lecteurs grecs ou romains la description d’oves, de grecques et d’autres ornemens tracés au compas et régnant uniformément autour de l’édifice ? On en voyait de pareils à chaque pas soit en Grèce, soit en Italie, puisque de semblables peintures ornaient jusqu’aux maisons des particuliers. Cependant la peinture murale jouait un grand rôle dans l’architecture des Grecs ; les couleurs brillantes dont leurs temples étaient couverts leur donnaient un caractère original et leur ôtaient toute ressemblance avec les édifices construits depuis lors en Europe sur le même modèle. Les exemples ne manqueraient pas. Rien n’est aussi froid, en effet, que le temple de la Madeleine ; la couleur blanche et mate de ses pierres, jointe à la grossièreté de la matière, à la raideur des lignes et surtout à la lumière grise qui vient s’éteindre entièrement sous les colonnes et dans les moulures, le fait ressembler à un grand corps inanimé et dans lequel la vie n’a respiré jamais ; cependant il est construit en général sur le modèle des monumens antiques et principalement selon les proportions du temple de Jupiter olympien à Athènes. Pourquoi donc les colonnes de ce dernier, rongées par le vent de la mer et mutilées par la main des hommes, sont-elles aujourd’hui même si poétiques et si grandioses ? Elles ont sans doute une forme plus belle et des proportions mieux entendues ; cependant elles tiennent une grande partie de leur beauté de la lumière qui les environne et de la couleur dorée dont le temps les a revêtues.

C’est une grande erreur de penser que les monumens de la Grèce sont demeurés blancs et ont aujourd’hui la couleur du marbre ; si le marbre pouvait garder sous ce ciel éclatant sa blancheur primitive, il y aurait en Grèce plus d’une montagne éblouissante de clarté, car les marbres sont aussi communs dans ce pays que le sont chez nous les calcaires grossiers, les schistes et les