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surtout pendant ses expéditions militaires, les plus puissans, c’est-à-dire les plus dangereux de ses riches-hommes ; aussi son camp devant Gibraltar réunissait-il tous les personnages qui, par l’étendue de leurs domaines et le nombre de leurs vassaux, tenaient le premier rang parmi la noblesse castillanne, tous ceux, en un mot, que l’opinion publique désignait pour prendre en main la direction des affaires. Les principaux étaient don Juan Alonso d’Alburquerque et don Juan Nuñez de Lara, seigneur de Biscaïe. Le premier, un de ces riches-hommes sans patrie, parce qu’il avait des terres dans plusieurs royaumes, était né en Portugal et apparenté à la maison régnante. De bonne heure, il avait abandonné son pays et quitté le service de son suzerain naturel pour offrir son épée et ses conseils à don Alphonse, au moment où ce prince, déterminé à faire rentrer ses grands vassaux dans le devoir, commençait par s’attaquer au plus puissant de tous, à don Juan Nuñez de Lara. À cette époque, don Alphonse n’avait pas encore révélé son génie, et la fortune semblait flotter incertaine entre le roi de Castille et ses riches-hommes révoltés. Sans chercher si le choix d’Alburquerque avait été déterminé par un motif généreux ou par un pressentiment politique, don Alphonse n’oublia jamais le secours utile qu’il en avait reçu ; il le combla de biens, le chargea de l’éducation de son héritier présomptif et l’admit au nombre de ses plus intimes conseillers. Devenu grand-chancelier et le principal ministre du roi de Castille, le Portugais, avec une rare prudence, s’était toujours abstenu de prendre parti ouvertement entre la reine et la favorite. Malgré ses ménagemens, il était considéré par Léonor comme un adversaire dangereux ; mais, en déclinant d’entrer avec elle dans une lutte que l’affection du roi eût rendue trop inégale, il avait su se faire respecter, et, sans se compromettre, il jouait le rôle d’un protecteur auprès de la reine délaissée, qui lui accordait toute sa confiance.

Don Juan Nuñez de Lara appartenait à la maison royale de Castille, comme fils de l’infant don Fernand de la Cerda, petit-fils de don Alphonse X[1]. De sa femme, fille d’un infant de Castille, il avait reçu en dot la seigneurie de Biscaïe, province considérable, séparée du reste du royaume par les mœurs, les lois et la langue de ses habitans. D’abord il s’était mis à la tête de la noblesse révoltée contre don Alphonse ; mais,

  1. Le fils aîné d’Alphonse X, Fernand de la Cerda, devait ce surnom à un signe naturel recouvert de soies qu’il avait entre, les deux épaules. Il mourut du vivant de son père, laissant deux fils, don Alphonse et don Fernand, qui portèrent le même surnom. Don Sanche, second fils d’Alphonse X, réclama le titre d’héritier présomptif du trône de Castille, au préjudice des deux infans de la Cerda, ses neveux et représentans de leur père. Ses intrigues, ses qualités personnelles, l’arbitrage des rois de Portugal et d’Aragon, enfin, une décision solennelle des cortès de Ségovie, en 1275, lui donnèrent la couronne. Après quelques tentatives pour faire valoir ses droits, l’infant don Alphonse de la Cerda consentit à une renonciation formelle en 1305.