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Ils ont le talent d’y découvrir une formation naturelle où leur science intrépide aime à chercher des lois régulières comme dans les évolutions du monde physique ; ils ne s’aviseraient pas de rien déranger au chaos, tant ils sont convaincus que la lumière y va venir d’elle-même. Pourquoi les maîtres de l’école historique ont-ils fait si grand fi de nos procédés révolutionnaires ? Uniquement parce que nous avions bâti sur table rase, en nous débarrassant de cet amalgame de ruines incohérentes sous lesquelles ils étouffent. Mais ce vain tumulte du passé, qui se révolte au hasard contre son agonie, est-ce donc là le magnifique développement de l’avenir, que le roi Frédéric-Guillaume se vante à tout propos d’avoir su respecter ? Je ne vois point, quant à moi, d’harmonie providentielle dans cet aveugle tiraillement des forces vitales qui constituent un peuple, et je ne crois pas que la Prusse ait gagné beaucoup depuis soixante ans à toutes les discordances qu’on a laissé se perpétuer dans son sein. Le corps de la monarchie est trop jeune sans doute, les parties qu’il embrasse ont été trop récemment juxtaposées, pour que l’agglomération soit déjà parfaite : étrange raison de glorifier les obstacles qui la retardent, de monter au Capitole et d’y remercier les dieux ! Il est vrai qu’il est plus commun d’avoir un érudit ou un rhéteur qui sanctifie le mal par une théorie que d’avoir un homme qui le guérisse par un remède.

Les théories toutefois ont beau dire, ce que la Prusse actuelle a de puissance et d’énergie, elle le doit à des esprits clairs, à des volontés vigoureuses ; s’il lui reste encore tant d’inconsistance, il faut bien accuser les volontés défaillantes qui s’en accommodent, les esprits obscurcis qui s’en félicitent. Il n’y a point, en politique, de ces nécessités d’organisme si malheureusement inventées par une philosophie qui a trop long-temps écrasé la vie publique de l’Allemagne ; il y a les mérites et les torts des individus ou des peuples.

D’où naissent en effet ces oppositions bizarres qui se rencontrent à chaque pas de Cologne à Koenigsberg, sinon de la diversité des époques, dont on n’a pas su coordonner l’action successive, — de la diversité des lieux, dont on n’a pas assez corrigé les influences divergentes ? C’est que, pour poser et pour sceller la pierre angulaire d’une grande unité nationale, le plus habile architecte ne pourra jamais, dorénavant, se passer du concours de la nation ; c’est que la nation prussienne n’est appelée que d’hier à travailler au monument.


I.

La croissance de la Prusse s’est faite en quelque sorte par alluvions. Dans sa constitution intérieure et administrative, dans sa constitution géographique et territoriale apparaissent l’une après l’autre les couches