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que le ministre alors tout-puissant réservait à ses ennemis, il était bien résolu à ne pas imiter la folle confiance de son frère d’armes, et se préparait de longue main à une résistance vigoureuse. Tandis qu’il mettait en état de défense ses châteaux de Castille et d’Andalousie, il cherchait à ouvrir des relations avec don Henri et don Tello qui, suspects comme lui à don Juan d’Alburquerque, lui semblaient des alliés naturels. Peu scrupuleux sur le choix de ses protecteurs, il essayait encore de traiter avec le roi maure de Grenade, et sollicitait jusqu’aux Arabes d’outre-mer. Pour diriger ces négociations, le château d’Aguilar, situé sur la frontière de Grenade, lui offrait de grandes facilités. Il s’y était enfermé avec son gendre don Juan de La Cerda, seigneur puissant de Castille, et tous les deux y avaient réuni les plus dévoués de leurs vassaux. De cette forteresse, ils tendaient la main à tous les mécontens et s’efforçaient de rallier les débris de la faction de Lara.

Alburquerque ne se dissimulait ni la haine que lui avait suscitée sa haute fortune, ni le nombre ni la force de ses ennemis. Sa résolution naturelle, d’accord avec la politique, lui conseillait de s’adresser d’abord au plus redoutable, sûr qu’un exemple terrible intimiderait le reste des factieux. La perte d’Alonso Coronel fut jurée. Dans ce dessein, il quitta Ciudad Rodrigo dès qu’il put prendre congé du roi de Portugal et se hâta de conduire le roi en Andalousie, espérant par la rapidité de sa marche déconcerter les intrigues des rebelles. En quelques jours, il réunit à Cordoue une petite armée autour de la bannière royale et s’avança aussitôt contre le château d’Aguilar. Gutier Fernandez de Tolède, grand chambellan, et Sancho-Sanchez de Rojas, chef des arbalétriers de la garde, le précédaient chargés de sommer Coronel d’ouvrir ses portes au roi. Coronel, qui vraisemblablement ne s’attendait pas à être si tôt attaqué, répondit avec quelque embarras qu’aux termes de sa charte d’investiture, octroyée par le roi lui-même, il était dispensé d’héberger son souverain, surtout lorsqu’il se présentait avec une suite si considérable[1]. Puis, sa franchise militaire reprenant bientôt le dessus, il avoua que la présence d’Alburquerque, son ennemi déclaré, l’empêchait seule de se rendre à son devoir ; mais que, tant que ce ministre exercerait sa domination tyrannique, il se verrait contraint à son

  1. Tous les riches-hommes ; de même que les maîtres et les commandeurs des ordres militaires, étaient tenus de recevoir le roi dans leurs châteaux et de l’y héberger, à peine de haute trahison. On a vu que les cortès de Valladolid avaient réglé la dépense qui devait être faite dans de telles occasions. Il paraît que les rois, en donnant un château, dispensaient quelquefois son propriétaire des frais de réceptions royales, yantares ; mais, en supposant que Coronel eût un pareil privilège, il est évident qu’il n’avait d’autre sens que de l’exempter de la dépense des yantares, et non de l’obligation d’ouvrir ses portes à son seigneur.