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s’ils devaient punir la vieille ou bien acheter son silence. Le roi lui fit donner une somme d’argent et s’avoua coupable. Restait à trouver une peine, chose difficile. La loi était formelle : en pareil cas, le meurtrier devait être décapité et sa tête était exposée sur le lieu du crime. Don Pèdre ordonna que sa tête couronnée et taillée en pierre fût placée dans une niche, au milieu de la rue théâtre du combat. Ce buste, malheureusement renouvelé au XVIIe siècle, se voit encore aujourd’hui dans la rue du Candilejo à Séville[1].

Cette subtilité, conforme d’ailleurs aux coutumes du moyen-âge, atteste plutôt la fertilité d’imagination que l’impartialité du roi. Le trait suivant donnera une meilleure idée de ses jugemens. Un prêtre pourvu d’un riche bénéfice avait fait une grave injure à un cordonnier. Traduit devant un tribunal ecclésiastique, le seul dont il fût justiciable, le prêtre fut pour ce délit suspendu de ses fonctions sacerdotales pendant quelques mois. L’artisan, mal satisfait de la sentence, se chargea lui-même de punir l’outrage ; il attendit son ennemi, et lui infligea une rude correction manuelle. Aussitôt il fut arrêté, jugé, condamné à mort. Il en appela au roi. La partialité des juges ecclésiastiques avait produit quelque scandale. Don Pèdre parodia leur sentence en condamnant le cordonnier à s’abstenir de faire des souliers pendant une année. Quoique attestée par Zuñiga, auteur prudent et respectable, cette anecdote sent peut-être un peu trop sa légende populaire pour être acceptée par l’histoire. Cependant elle reçoit une espèce de confirmation par une loi remarquable ajoutée vers la même époque au règlement, ou code particulier de la commune de Séville. « Considérant les nombreux outrages commis par des ecclésiastiques (ainsi s’exprime le législateur), lesquels font usage d’armes défendues, sans crainte de Dieu, ni révérence pour leur caractère, d’où vient que les laïques se vengent par des moyens semblables, et, pour tant que les juges ecclésiastiques ne punissent pas les délinquans de leur ordre et n’en font pas exemple comme il est droit, j’ordonne et j’établis, par la présente loi, qu’à l’avenir tout laïque qui tuera, blessera, déshonorera un ecclésiastique, ou lui fera tout autre mal dans sa personne ou ses biens, soit puni de la même peine qu’encourrait l’ecclésiastique faisant la pareille à un laïque. Je veux que mes alcades, devant qui l’affaire sera portée, appliquent ladite peine et non point une autre… Le tout, sans aller contre les libertés de l’église et sans relever le laïque coupable du fait de sacrilège ou du châtiment d’excommunication[2]. » On le voit, l’anecdote du cordonnier a peut-être provoqué cette loi extraordinaire pour l’époque où elle fut rendue ; mais il est possible aussi qu’elle ne soit

  1. On dit que ce nom a été donné à la rue en mémoire de la lampe, candilejo, qui éclaira le duel. — Zuniga, Annales eclesiasticos de Sevilla, t. II, p. 136.
  2. Zuniga, An. eccles., t. II, p. 137.