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d’un confident nous apprend la lointaine péripétie d’une tragédie classique, il est fort peu question de la ville sainte dans le nouvel opéra. Ce libretto, qui a été transformé, allongé et adapté à la scène française, se ressent du décousu qui a dû résulter de cette opération peu littéraire ; mais il offre des scènes très bien indiquées pour le compositeur, et il ouvre un vaste champ à ces cortèges, à ces processions, à ces cavalcades qu’on affectionne aujourd’hui à l’Opéra, et qui vous transportent tantôt à l’église, tantôt à l’hippodrome. L’inconvénient de ce système, c’est la monotonie qu’amène à la longue, dans le répertoire, le retour des mêmes situations, servant de prétexte aux mêmes effets et aux mêmes pompes ; il y a surtout abus de pèlerins, de moines, de cérémonies, de pénitens et de chants d’église. A voir et même à entendre certains ouvrages modernes, il semblerait qu’on ne va à l’Opéra que pour faire pénitence.

Il y aurait trop de présomption à vouloir juger, dès le premier jour, la partition de M. Verdi. Elle nous a paru avoir le défaut de toutes les réactions. On dit la république des lettres ; c’est plutôt dans le domaine de la musique qu’il conviendrait d’employer cette métaphore révolutionnaire ; car, tous les dix ans, il s’y accomplit un de ces changemens qui font proscrire ce qu’on admirait, et saluer ce qui ne semblait pas supportable. Après l’abdication de Rossini et la mort de Bellini, les imitateurs, Donizetti à leur tête, ont réduit la musique italienne à certaines formes très mélodieuses, très attrayantes, et que, pour ma part, je préfère à beaucoup d’orgueilleuses tentatives, mais qui sont dépourvues d’expression dramatique. Cette période nous a donné des partitions fort dédaignées des savans, et cependant fort douces à entendre, dont le type le plus exquis me paraît être, dans le genre sérieux, la Lucia, dans le bouffe, Don Pasquale. Cette phase terminée, arrive M. Verdi, qui élague tous les ornemens, et demande surtout ses effets à des morceaux de courte haleine, dans lesquels les personnages, pour mieux exprimer leur douleur ou leur joie, commencent modérément, et s’élèvent, par un habile et rapide crescendo, à une explosion, à un cri suprême, rempli de puissance et d’accent. Cela est fort beau sans doute, mais ne vaudrait-il pas mieux faire, comme disent les philosophes, un peu d’éclectisme ? Pendant que Donizetti et Verdi nous révélaient ainsi la musique par deux de ses côtés les plus exclusifs, n’y a-t-il pas eu un compositeur plus heureux, un maître mieux inspiré, qui a su allier, dans une exacte mesure, dans un harmonieux ensemble, les qualités les plus distinctes, et, après les combinaisons gigantesques et les masses vocales du quatrième acte des Huguenots, suspendre aux lèvres enivrées de Raoul et de Valentine une divine cantilène, toute frémissante d’amour et de volupté ?

Oui, la musique doit chanter, c’est là son attribut le plus charmant, son plus doux privilège ; Mozart, Weber, Rossini, Cimarosa, Meyerbeer, tous les maîtres ont chanté, quelles que fussent d’ailleurs les tendances de leur talent, les prédilections de leur génie. Ce qui nous a frappé dans la partition de M. Verdi, ce qui refroidira son succès, très réel et très légitime d’ailleurs, c’est cette absence de chant. Il était, j’en conviens, fort déplacé et fort bourgeois d’exiger qu’un opéra nous laissât dans l’oreille un air ou un motif à fredonner en sortant, et cependant il y avait dans cette exigence quelque chose de naturel et de plausible. Cet air, ce motif, ce je ne sais quoi qui surnageait sur l’océan tumultueux de l’orchestre, ainsi que la blanche hirondelle des mers sur les flots noirs et agités,