Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’était le premier intermédiaire et comme l’initiateur entre le talent du maître et l’intelligence de l’auditoire. On l’emportait, comme le souvenir d’un ami qu’on désire revoir, comme le parfum d’une fleur que l’on respire encore, long-temps après l’avoir effleurée. Au lieu de cela, accumulez les effets d’orchestre, faites résonner les cuivres, grossissez les voix, multipliez les unissons, et, pourvu que nous soyons plus lettrés que musiciens, vous nous ferez forcément songer à la comédie de Shakespeare !

L’opéra de M. Verdi n’en renferme pas moins des beautés très réelles, dont quelques-unes sont neuves et ont été ajoutées à la partition primitive des Lombardi. Nous nous abstiendrons de louer le morceau imitatif du lever du soleil, pastiche du Désert, renouvelant un effet et un procédé fort bons dans une symphonie, mais fort inutiles dans un opéra. La scène de l’anathème rappelle celle de la Juive, et, bien que peu fanatiques du talent de M. Halévy, nous croyons que l’avantage reste au compositeur français. Cependant ce finale est beau ; la phrase du ténor : Dieu ! soyez mon égide ! se détache bien sur l’ensemble des autres parties. Je passe rapidement sur un air de soprano, hérissé de difficultés gratuites, et j’arrive au duo des deux amans, où l’on rencontre enfin un peu de mélodie et de passion. Le finale de la dégradation est magnifique ; là, le compositeur est vraiment à la hauteur de la situation ; sa pensée se déroule avec ampleur, et va d’un personnage à l’autre sans rien perdre en chemin de son caractère et de sa netteté ; le trio final, qui a le malheur de faire songer à celui des Huguenots, mériterait plus d’éloges, s’il était un peu moins écourté. En général, et même en adoptant le système de composition de M. Verdi, on peut lui reprocher de ne pas développer assez son idée musicale. Il la pose bien, il la distribue habilement entre ses chanteurs ; mais, une fois là, on le dirait pressé de finir et de couper court par un de ses élans soudains. La musique ainsi comprise n’est plus un pur flambeau destiné à éclairer tour à tour toutes les parties du drame, tous les sentimens des acteurs ; c’est une fusée à la Congrève, partant avec éclat, et allant s’éteindre on ne sait où. Que M. Verdi, qui est encore assez jeune pour perfectionner ce qu’il possède et même acquérir ce qui lui manque, compare à cette manière la sûreté, j’allais dire la lenteur magistrale avec laquelle l’idée se développe et se déploie dans le duo de Guillaume Tell ou dans le trio de Robert-le-Diable, et qu’il prononce !

La partition de Jérusalem est chantée aussi bien que le permet l’état actuel de l’Opéra. Alizard a une admirable voix de basse, qu’il conduit avec une habileté un peu timide. Mme Julian Van-Gelder, que nous avions entendue il y a quelques années, a complètement réussi. Sa voix est un soprano aigu qui monte sans encombre, et n’a même toute sa force que dans les régions les plus élevées. Cette voix est belle, énergique, et se prête à merveille au genre d’effets recherchés par M. Verdi. Duprez est toujours cet artiste étonnant, chez qui la science, la volonté et l’ame suppléent à la voix absente ou rebelle. Son chant, si beau d’intention et de style, fait l’effet d’un dessin de Raphaël, estompé par le temps. Si la musique n’était pas, quoi qu’on en dise, un des arts les plus sensuels, si le plaisir pouvait être déterminé par la réflexion, Duprez serait le premier chanteur du monde. En somme, Jérusalem a obtenu un succès brillant, mais qui n’aura pas, nous le craignons, une influence assez décisive sur les destinées de l’Opéra. Mise en scène, décorations, costumes, danses, partition