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REVUE. — CHRONIQUE.

elle ne pouvait croire à son réveil qu’elle fût accouchée et que l’enfant qu’on lui présentait fût bien le sien. Dès que ces faits ont été connus des chirurgiens de Paris, des essais ont été répétés dans presque toutes les salles de nos hôpitaux. Un homme de vingt-deux ans, ayant respiré le chloroforme, tomba au bout d’une minute et demie dans une anesthésie complète ; l’amputation de la cuisse droite faite par le docteur Jobert (de Lamballe) ne put réveiller ce malheureux qui semblait dormir d’un sommeil naturel. À l’Hôtel-Dieu, une femme fut assoupie au bout de cinquante secondes ; sa figure était calme, sans lividité ni pâleur, mais immobile et insensible comme le serait un corps privé de vie. Des manœuvres de lithotritie ont été pratiquées sans provoquer la moindre sensation pénible ou désagréable. On peut signaler les mêmes succès dans l’hôpital de la Charité, entre les mains de M. le professeur Velpeau. Le chloroforme inhalé pendant quelques minutes a suffi pour faire cesser un instant dans les muscles ces contractions permanentes et douloureuses qui caractérisent la terrible affection désignée sous le nom de tétanos. En quarante secondes, un homme d’un tempérament robuste subit sans la sentir la plus douloureuse opération à laquelle on puisse être condamné : nous avons vu M. le professeur Blandin disséquer sans causer la moindre douleur la peau déjà enflammée, mettre à nu la glande séminale affectée de cancer, et achever la castration avant le réveil du malheureux, dont la physionomie était parfaitement calme. Enfin M. Gerdy, qui, le premier, avait étudié sur lui-même l’effet des inhalations éthérées, a reconnu le 23 novembre, à l’Académie de Médecine, l’innocuité et la puissance anesthésiante du chloroforme. Aujourd’hui cette puissance est un fait acquis, tant sont nombreuses les observations recueillies et sur les malades et sur. les étudians qui se soumettent journellement à ces sortes d’expériences.

Il était tout naturel que ce fût parmi les liquides désignés en chimie sous le nom d’éthers que l’on cherchât un agent moins irritant et agréable pour tout le monde. Un élève de la Faculté de Médecine de Paris, le docteur Lach, dans une thèse soutenue le 7 août dernier, avait annoncé la découverte de cet agent dans un avenir plus ou moins éloigné. Il avait puisé cette conviction dans l’étude de l’action physiologique des éthers sur l’économie. Tous, en effet, peuvent éteindre la sensibilité ; tous peuvent porter atteinte au principe des mouvemens qu’ils exaltent ou pervertissent. Le problème se réduisait donc à trouver un corps volatil ou gazeux qui, éminemment doué de la première propriété, ne possédât la seconde qu’à un faible degré. Cette double condition est remplie par le chloroforme, que l’on obtient en distillant à une douce chaleur un composé de chlore et de chaux (l’hypochlorite de chaux), mêlé avec de l’esprit de vin ou de l’esprit de bois.

L’assoupissement obtenu par le chloroforme et celui que produit l’éther présentent des analogies et des différences remarquables. L’inhalation de l’éther nécessite l’emploi d’appareils spéciaux, le chloroforme au contraire est introduit dans les voies respiratoires de la manière la plus simple. On peut se contenter d’en laisser tomber quelques gouttes sur un mouchoir, ou bien sur un morceau de papier roulé en entonnoir, que l’on place ensuite sur le nez et la bouche. Le, plus souvent on se sert d’une éponge disposée en forme de croissant, et que l’on met sous les narines. Cependant le nouvel agent produit des effets d’autant plus rapides qu’il est plus concentré ; c’est pourquoi on l’emprisonne avec avantage