Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
954
REVUE DES DEUX MONDES.

tentatives d’application de cet agent à l’homme et la connaissance des avantages que le nouveau corps parait devoir présenter.

Dès le début de l’éthérisation, le chirurgien d’Édimbourg avait reconnu que l’éther exhalait une odeur désagréable qui persistait long-temps après l’inhalation, et causait une vive irritation sur les voies respiratoires. D’ailleurs, certaines personnes étaient réfractaires à l’action de cet agent chimique, et ne tombaient dans une anesthésie complète qu’après un temps plus ou moins long. C’est pourquoi il se mit presque aussitôt à la recherche d’un nouveau composé qui fût moins irritant, et dont la puissance plus grande privât plus vite de la sensibilité les malades confiés à ses soins. Après bien des essais sur divers produits, il s’adressa au chloroforme, qui devait enfin répondre à ses vœux. Le chloroforme, ou perchlorure de formyle, a été découvert en 1831 par M. Soubeiran, décrit en 1832 par M. Liebig, et analysé en 1835 par M. Dumas, qui, après en avoir fait connaître la composition, lui donna le nom sous lequel on le désigne aujourd’hui, parce qu’il résulte de la combinaison d’un corps simple, le chlore, avec les démens d’un acide rejeté et admis tour à tour par les chimistes, et qui, existant naturellement dans les fourmis, est connu dans les laboratoires sous le nom d’acide formique. C’est un liquide incolore, oléagineux, d’une odeur légèrement éthérée, agréable, et d’une saveur sucrée qui plait. Il est plus pesant que l’eau, ne brûle que très difficilement à la flamme d’une bougie, qu’il colore en vert. Quelques médecins l’ont prescrit à l’intérieur, plus particulièrement contre l’asthme, mais à petites doses, et fortement étendu dans un liquide médicamenteux.

Avant de faire connaître les effets de l’inhalation de ce nouvel agent dans l’infirmerie royale d’Édimbourg, M. Simpson en avait, dans un grand nombre de cas, constaté la propriété anesthésiante. Ce fut par un hasard singulier que le chimiste français à qui l’on en doit l’analyse, M. Dumas, se trouvant à Édimbourg, put assister aux premiers essais que le chirurgien écossais faisait en public. M. Simpson opéra d’abord sur un enfant de quatre à cinq ans qui portait dans l’avant-bras un os frappé de nécrose. On répandit quelques gouttes de chloroforme sur un mouchoir que l’on approcha du visage du petit malade. D’abord effrayé par ces manœuvres qu’il ne comprenait point, celui-ci voulut se retirer ; mais, retenu avec douceur par M. Simpson, il tomba dans un profond sommeil après quelques inspirations. Le professeur Miller fit une incision à la peau qu’il disséqua pour mettre à nu l’os malade ; celui-ci, ayant été retiré avec des pinces, la plaie fut ensuite explorée avec le doigt, pansée, et l’enfant, transporté dans son lit, ne se réveilla qu’au bout d’une demi-heure, gai et paisible, l’œil pur, comme s’il fût sorti d’un sommeil réparateur. Le chloroforme fut présenté ensuite à deux autres malades sur une éponge de forme concave. Le premier était un soldat qui parut d’abord disposé à agiter les mains, mais qui bientôt devint insensible et resta calme pendant toute la durée d’une opération qui lui fut pratiquée dans la région de la joue. Le second était un jeune homme qui, au bout d’une demi-minute, put supporter sans aucune souffrance l’amputation du gros orteil. Une femme en couches qui, trois heures et demie après le commencement des douleurs, fut soumise par M. Simpson aux vapeurs de chloroforme, fut délivrée au bout de vingt-cinq minutes après l’inhalation ; comme elle resta plus long-temps endormie qu’il n’arrive d’ordinaire avec l’éther,