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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1022

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de rétablir ma fortune, j’ai successivement épousé deux héritières : or l’une m’a laissé pour tous biens un enfant et les deux mille écus que voici, l’autre m’a enrichi de quelques centaines de pistoles en bagues et joyaux, dont je me suis défait dès la première année de notre mariage. Après tant de revers, j’étais en droit d’espérer quelque belle chance ; point du tout, il ne s’en est présenté aucune. J’étais venu à Paris pour tâcher de rétablir mes affaires et d’obtenir quelque emploi, mais, mordieu ! le lansquenet y a mis bon ordre cette nuit ; il ne me reste pas même quelques écus pour acheter un habit qui me permette de me présenter décemment dans le monde.

— Écoute, Champguérin interrompit tout-à-coup le vicomte en l’arrêtant et en le regardant en face ; tu as une fille charmante, laquelle peut assurément prétendre à se marier sans dot ; je ne suis pas fort pressé d’argent et je ne demande pas mieux que de te rendre service.

— Oh ! eh ! je te remercie, répondit M. de Champguérin en ouvrant de grands yeux ; tout cela n’est pas de refus ; j’accepte l’argent ; quant à ce qui concerne ma fille, nous en reparlerons.

La mère Saint-Anastase revint difficilement de l’impression douloureuse que lui avait causée la vue de M. de Champguérin ; elle était dans la situation d’une ame pieuse qui verrait s’écrouler le sanctuaire et chercherait tout éperdue ce qu’est devenu son Dieu. Elle ne regrettait pas son sacrifice mais elle pleura l’idole détruite qu’elle ne pourrait remplacer Son cœur, si long-temps absorbé dans un amour terrestre, essayai en vain de se tourner vers l’époux mystique et tombait graduellement dans une sombre indifférence. Mlle avait gardé aussi une pénible impression de la visite de son père ; elle était triste, agitée, et semblait frappée de quelque fatal pressentiment. Parfois, se rapprochant vivement de la mère Saint-Anastase, elle lui disait avec effusion, en baisant le bout de son voile

— Oh ! ma chère mère, je ne veux pas quitter la maison du Seigneur : vous me garderez toujours à l’abri de ces saintes murailles !

— Oui, toujours, ma chère Alice, répondait la prieure avec un sourire mélancolique ; soyez assurée, d’ailleurs, que personne ne s’oppose à votre vocation ; monsieur votre père l’a déclaré en ma présence, et je ne doute pas qu’il le répète encore à sa première visite.

Mais M. de Champguérin ne reparut plus à la grille, il n’écrivit pas non plus, et, au bout d’un mois, sa fille dut croire que quelque circonstance fortuite l’avait forcé de quitter Paris sans la revoir.

Les jours se succédaient cependant, emportés par le courant monotone de la vie monastique ; on était à la fin de l’été, et la mère Saint-Anastase se complaisait déjà dans l’espérance éloignée que lui avait fait concevoir la dernière lettre du baron de Barjavel.

Un matin, Mlle de Champguérin descendit de bonne heure au parloir