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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/1026

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Champguérin qui l’attendait dans sa cellule, une lettre à la main. — Oh ! ma chère mère, j’ai reconnu l’écriture, lui dit-elle toute tremblante ; lisez, je vous en supplie.

— Une lettre de M. de Champguérin s’écria la prieure avec quelque inquiétude, et, rompant le cachet, elle lut d’abord àa voix basse


« MA CHÈRE FILLE,

« Quoique les événemens qui ont renversé ma fortune m’eussent presque ravi l’espoir de vous établir dans le monde d’une manière conforme à votre rang, je n’ai jamais cessé de m’occuper de vous avec tout l’intérêt et toute la sollicitude que méritent votre sagesse, votre bonne conduite et votre absolue soumission. La Providence a comblé mes vœux : M. le vicomte de Rubelles, mon ami et le plus galant homme que je connaisse ; m’a fait l’honneur de me demander votre main, et je la lui ai accordée, ne doutant pas de votre obéissance Aujourd’hui même je me présenterai à la grille pour recevoir l’assurance de votre consentement et vous faire savoir ce que j’ai décidé d’ailleurs avec le vicomte, lequel se met à vos pieds et vous présente ses respects.

«Votre affectionné père,

« H. DE CHAMPGUERIN. »

La mère Saint-Anastase relut tout haut cette lettre, ensuite elle dit à Mlle de Champguérin, qui l’écoutait pâle et atterrée ! — Votre cœur répugne à ce mariage, mon enfant?

La pauvre fille ne put répondre d’abord, le saisissement la rendait muette, enfin elle s’écria avec désespoir… — Oh ma chère mère! c’est aujourd’hui même… il va venir… je suis perdue si vous ne me protégez!...

— Hélas ! ma pauvre enfant, vous n’oseriez résister! dit la mère Saint-Anastase profondément touchée et se souvenant de ce qu’elle avait ressenti elle-même dans une situation semblable ; prenez courage ; vous ne paraîtrez pas au parloir ; c’est moi qui vais répondre à cette lettre.

— Alors elle prit la plume et écrivit en se conformant aux formules mystiques en usage dans l’ordre des sacramentines.

Laudetur sanctum sacramentum.


« MONSIEUR ET TRES CHER FRERE EN J.-C.,

« Ayant ouvert votre lettre et pris connaissance de vos volontés, j’en ai fait part aussitôt à Mlle de Champguérin, laquelle m’a déclaré que sa vocation était d’entrer en religion, s’excusant avec tout le respect imaginable de vous désobéir et vous suppliant de retirer la parole que vous avez donnée à M. le vicomte de Rubelles. Aucun motif humain