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pas l’examen. L’art ne se développe jamais spontanément ; ses commencemens sont lents et laborieux et s’appuient toujours sur la tradition. L’art dans la haute Allemagne, et par suite chez les Flamands et les Hollandais, a suivi les lois ordinaires qui président à son développement. Sauf de légères modifications apportées par le climat, les mœurs et le caractère propre à chaque nation, les monumens des mêmes époques, dans les contrées de l’Europe qui s’étendent des Alpes et du Danube aux rives de l’océan germanique, présentent, à partir des temps les plus reculés, la plus grande analogie.

Si les œuvres de la sculpture et de la peinture murale et les mosaïques qui pourraient rattacher l’art antique à l’art moderne sont en petit nombre, il existe des monumens d’un ordre moins relevé, mais plus complets, plus nombreux, et qui présentent un intérêt au moins égal à celui que nous offrent les sculptures et les peintures : nous voulons parler des peintures des manuscrits. Ces peintures comblent aujourd’hui la lacune qui pouvait exister dans l’art ; elles nous prouvent que les peintres grecs conservèrent jusque dans les bas temps de l’empire une supériorité réelle. Elles rattachent l’art byzantin à l’art moderne, comme elles avaient relié l’art antique à l’art byzantin. L’étude des peintures des manuscrits, indiquée seulement par Séroux d’Agincourt, qui continuait Winkelmann et qui n’envisageait l’art que sous une de ses faces, est des plus curieuses ; elle jette des lumières vives et inattendues sur l’histoire générale de l’art au moyen-âge dans les contrées germaniques ; elle nous conduit sans lacune des époques mérovingienne et carlovingienne jusqu’au milieu du xvle siècle.

Les manuscrits francs de l’époque carlovingienne, tels que les évangéliaires de Charlemagne[1], de Louis-le-Débonnaire[2] et de Lothaire[3], les évangiles d’Ébon, archevêque de Rheims[4], la Bible[5] et le psautier de Charles-le-Chauve, sont des chefs-d’œuvre dans leur genre ; ils égalent, pour la perfection des accessoires et la délicatesse des ornemens, les plus beaux manuscrits byzantins ; ils prouvent que dans ces temps reculés l’invention, la diversité et la netteté qui caractérisent notre art national, étaient déjà le partage de ces artistes ignorés. Ils ont de plus le mérite de n’être ni le calque ni la copie de ces manuscrits byzantins dont ils atteignent la perfection. C’est un produit

  1. In-folio. Bibliothèque nationale. Exécuté en 781.
  2. Bibliothèque nationale. IXe siècle.
  3. Bibliothèque nationale. Exécuté en 855.
  4. Bibliothèque d’Épernay.
  5. Bible latine de Charles-le-Chauve. Bibliothèque nationale, in-folio. On voit dans cette Bible des figures symboliques de la Prudence, de la Justice, du Courage et de la Tempérance, placées à chaque coin du cadre de la miniature, qui représente le roi David. Cela sent l’antiquité.