Un point est clair d’abord : avant les journées de février, les partisans de la république ne formaient dans le pays qu’une très petite minorité ; le pays, à l’heure qu’il est, se laisse tout entier devenir républicain. Nous n’ignorons point qu’il faut attribuer une grande part aux faiblesses humaines dans cette soudaine métamorphose, et les intérêts privés, cachés sous les conversions individuelles, ne manquent pas d’aider beaucoup cette éclatante et universelle conversion. Nous n’admettons pas néanmoins que toute une nation puisse se leurrer elle-même par un mensonge aussi cru que le serait celui-là, et il est évident pour nous que, si la France eût été très profondément monarchique, elle n’aurait pas si vite adhéré au renversement de la monarchie. La France est en général trop prompte à recevoir les mots d’ordre, mais cette promptitude même doit avoir ses raisons intimes, et si le télégraphe a souvent l’air de décréter les révolutions d’un bout à l’autre du territoire, il y a gros à parier que c’est parce qu’il les trouve toutes faites. En était-il ainsi de la révolution de février ? Non, si l’on considère les élémens factices d’où elle est sortie. Oui, si l’on considère les élémens sérieux qu’elle renferme. Nous avons à cœur de nous expliquer là-dessus avec quelque précision ; nous voudrions dire ce qu’il nous semble voir autour de nous dans la pensée du plus grand nombre.
Ce que nous appelons l’élément factice de la révolution de février, ce sont ces coups de hasard qui ont tout balayé ; ce sont ces violences populaires devant lesquelles tous les anciens pouvoirs ont disparu comme abusifs, pour être aussitôt remplacés par un pouvoir dictatorial ; ce sont ces réminiscences plus ou moins artificielles qui ont exalté peut-être au-delà du nécessaire et les imaginations et les discours ; c’est enfin cet appareil un peu trop dramatique avec lequel les acteurs de tout rang se sont précipités sur la scène comme des héros ressuscités, sans même oublier de se faire suivre et précéder par des faisceaux de bois peint, un vrai décor de tragédie romaine. Il est en un mot, dans ce grand impromptu révolutionnaire, tout un côté par lequel on se sent en quelque sorte jouer à la république, et, la représentation que l’on se donne ainsi à soi-même menaçant de devenir assez onéreuse, on se prend à souhaiter qu’elle finisse ; mais il est d’autre part un côté solide par où ces nouveaux événemens, quel qu’en soit le cachet extérieur, se rattachent au fond même de l’existence nationale. Le génie de la France est un génie sincèrement démocratique. La liberté nous plait sans doute, bien moins encore pourtant que l’égalité : nous avons toujours eu plus d’aversion pour les aristocraties que pour les despotes. Ce n’est pas le moment de discuter les mérites ou les torts de cet esprit particulier ; il est, et il vient de prouver une fois de plus qu’il ne cesserait pas d’être ; il a marqué jusqu’ici toutes nos institutions à son empreinte ; il voulait, il pouvait les élargir encore. Nous croyons que la monarchie n’eût pas péri pour se prêter à ces élargissemens ; nous croyons qu’elle avait par essence toute l’élasticité suffisante pour céder et subsister. Elle s’est brisée en résistant à outrance, et la démocratie s’est trouvée d’un seul bond au bout de la carrière qu’elle s’attendait à parcourir plus lentement sur cette route scabreuse des expérimentations politiques. Au lieu de voyager par étapes, elle a volé comme l’éclair, et la voilà maintenant si avant, qu’il n’y a plus terre au-delà : ultima Thule ; au-delà, l’Océan.
L’élément sérieux de la république, c’est cette conformité peut-être exagérée, mais d’autant plus absolue, peut-être brutale, mais par cela même d’autant plus énergique, c’est cette conformité radicale avec les aspirations démocratiques de