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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 mars 1848.


C’est à peine si les esprits se relèvent aujourd’hui de cette grande commotion qui les a tous jetés dans l’inconnu. Il faut pourtant se ressaisir soi-même et regarder en face la situation telle qu’elle est, car, si l’on ne recouvre pas assez de sang-froid pour la juger, on risque fort d’en subir tous les inconvéniens et de n’en point utiliser les ressources. Aussi nous ne sommes, quant à nous, ni des pessimistes qui fermions les yeux pour ne trouver nulle part de quoi nous rassurer, ni des optimistes qui nous fassions plus aveugles encore pour avoir le droit de dire que tout est au mieux dans la meilleure des républiques. Nous sommes à peu près comme tout le monde, des gens très surpris, cherchant de bonnes raisons pour nous remettre de notre surprise, et tâchant de compter avec les événemens, puisque les événemens n’ont pas compté avec nous.

Il y aura toujours des sages du lendemain qui s’écrieront après coup : « Je l’avais bien prévu ! » Il y aura toujours des myopes qui prétendront avoir visé parce qu’ils auront touché but avec une balle perdue. Soyons vrais cependant : les événemens se sont produits cette fois sans demander de permission à personne, et, chose très singulière, ce qui n’empêche pas qu’elle soit très exacte, s’ils avaient demandé la permission de passer à ceux même qui en ont maintenant le plus profité, il y a grande apparence qu’ils seraient restés à moitié chemin. Ce n’est donc pas se tenir dans la juste mesure des réalités que de parler ici, comme certains l’osent déjà, et de vainqueurs et de vaincus, vainqueurs et vaincus l’ayant été sans se douter seulement qu’il y eût pareille guerre en jeu. Pas un homme raisonnable n’eût jamais voulu prétendre que la république n’entrerait point un jour chez nous, toutes portes ouvertes, tambour battant et enseignes déployées ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’hier elle est tout bonnement entrée par une porte qu’on avait oublié de fermer. Elle est arrivée sans s’annoncer. Cette arrivée très inattendue n’est ainsi proprement pour qui que ce soit ni un triomphe ni une défaite ; c’est un immense accident. Pour tous les bons citoyens, sans vieille distinction de parti, la question est de savoir comment se tirer de cet accident, qui les a tous pris au dépourvu.