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bon ou mauvais. Tout cela ressemble beaucoup aux jurés probes et libres : entre les deux systèmes, il n’y a de différence que la vertu qui n’était assurément pas dans l’un et qui sera pour sûr dans l’autre ; mais il y a tant de manières d’être vertueux, qu’il n’est pas bien certain que celle qui plait au gouvernement plaise toujours à la majorité du peuple français. L’écueil est là.

Malgré ces difficultés très sérieuses, il faut dire très haut que tout le monde préférerait encore la direction du gouvernement à celle des clubs, une direction quelconque valant certes mieux que l’anarchie. Il est seulement à désirer que le gouvernement se fortifie contre les clubs de manière à ne jamais exprimer lui-même leurs répugnances ou leurs tendances. Le gros du public a déjà ressenti quelque peine en voyant les délégués des clubs parisiens, des clubs du Marais et de la Sorbonne, traiter pour le moins d’égal à égal avec la seule autorité constituée qui soit aujourd’hui debout, et lui demander compte de ses actes, peut-être même de ses intentions, comme s’ils siégeaient au-dessus d’elle en qualité perpétuelle d’autorité constituante. Le gouvernement provisoire doit être sûr qu’il trouverait au besoin dans l’opinion un appui des plus énergiques pour repousser une invasion aussi déplacée ; mais il ne doit pas non plus la favoriser lui-même en l’autorisant par des complaisances inopportunes. Il ne doit pas affecter de s’appeler à tout propos un gouvernement révolutionnaire ; il le sera toujours assez sans le dire, et le dire ne sert à rien qu’à flatter ceux qui prennent toujours ce mot de révolution par son mauvais sens. Il ne doit pas céder à des exigences toujours croissantes, en interdisant d’avance aux électeurs de porter leurs suffrages sur des hommes qui, depuis dix-huit ans, ont servi toutes les causes de la France et de la liberté, sous prétexte que ces hommes-là sont les hommes du lendemain. Exclure M. Barrot et M. Thiers, par exemple, du nombre des candidats nationaux dans la république de 1848, ce ne serait pas, en vérité, procéder aux élections comme un gouvernement, mais comme un club.

À côté de cette tentative d’exclusion par trop systématique, nous apercevons d’ailleurs des essais de compromis assez singuliers pour éveiller un peu l’attention de ce côté-là. Nous les mentionnons comme un symptôme de cette immense confusion des esprits dans laquelle se mêlent et tourbillonnent avec force petites intrigues et tous les rêves de l’avenir et tous les rêves du passé. Il est convenu que les moins ralliés des légitimistes d’avant-hier sont les plus fougueux des républicains d’aujourd’hui, et l’on dit en revanche que certaines candidatures du vieil ultramontanisme ne trouveraient pas d’opposition dans le comité central de Paris. Ce serait pourtant un peu fort qu’un gouvernement qui combattrait dans les élections des candidats notoirement libéraux, parce qu’ils ont été dynastiques sous la branche cadette, s’alliât par la même occasion à des gens qui, naguère encore, ordonnaient des prières pour la perpétuité des lis et pour l’heureux accouchement de la branche aînée. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on a pu lire dans les journaux que M. Fayet, évêque d’Orléans, recommandait exclusivement les candidats radicaux à ses chers coopérateurs, qu’il avait habitués jusqu’ici à d’autres circulaires. Il y a des gens qui ne savent jamais s’arrêter à point dans leurs sentimens. Ainsi M. de Bonald a voulu lui-même glorifier les combattans de février comme martyrs des libertés civiles et religieuses : c’était malheureusement le nom qu’il prodiguait il y a trois mois au héros du Sonderbund, non pas morts, il est vrai, mais endommagés pour une cause tout