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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/12

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honneur au XVIIe siècle, on ne saurait mieux s’adresser ni surtout plus commodément qu’à lui.

Il y eut, vers ce temps, des hommes qui nous représentent et qui réalisent en eux l’idée de l’honnête homme, comme on l’entendait alors, bien mieux que le chevalier de Méré ne le sut faire dans sa personne, et lui-même, parmi les gens de sa connaissance, il nous en cite qu’il propose pour d’accomplis modèles. Il n’en est aucun pourtant qui ait plus réfléchi que lui sur cet idéal, qui se soit plus appliqué à le définir, à en fixer les conditions, à disserter sur l’ensemble des qualités qui le composent et à les enseigner en toute occasion. Un maître à danser n’est pas toujours celui (tant s’en faut) qui danse le mieux ; mais, si quelque ancien maître fameux en ce genre a écrit quelque chose sur son art, et que cet art soit en partie perdu, on doit recourir au traité. Le chevalier de Méré a été, à son heure, un maître de bel air et d’agrément, et il a laissé des traités.

Il ne s’exagère point d’ailleurs, autant qu’on le pourrait croire, l’effet des préceptes : « Eh ! qui doute, dit-il quelque part[1], que si quelqu’un étoit aussi honnête homme que l’on dit que Pignatelle étoit bon écuyer, il ne pût faire un honnête homme comme Pignatelle un bon homme de cheval ? D’où vient donc qu’il en arrive autrement ? » Il va lui-même au-devant des objections que soulève le didactique en pareille matière, lorsqu’il dit : « En tous les exercices, comme la danse, faire des armes, voltiger, ou monter à cheval, on connoît les excellens maîtres du métier à je ne sais quoi de libre et d’aisé qui plaît toujours, mais qu’on ne peut guère acquérir sans une grande pratique ; ce n’est pas encore assez de s’y être long-temps exercé, à moins que d’en avoir pris les meilleures voies. Les agrémens aiment la justesse en tout ce que je viens de dire, mais d’une façon si naïve, qu’elle donne à penser que c’est un présent de la nature[2]. » - Je ne saurais mieux comparer les écrits de Méré qu’à ceux de Castiglione, auteur du livre du Courtisan (Cortegiano), Celui-ci a fait le code de l’homme de cour, l’autre a fait celui de l’honnête homme.

Honnête homme, au XVIIe siècle, ne signifiait pas la chose toute simple et toute grave que le mot exprime aujourd’hui. Ce mot a eu bien des sens en français, un peu comme celui de sage en grec. Aux époques de loisir, on y mêlait beaucoup de superflu ; nous l’avons réduit au strict nécessaire. L’honnête homme, en son large sens, c’était l’homme comme il faut, et le comme il faut, le quod decet, varie avec les goûts et les opinions de la société elle-même. L’abbé Prevost est peut-être le dernier écrivain qui, dans ses romans, ait employé le mot honnête

  1. Cinquième Conversation avec le maréchal de Clérembaut.
  2. Discours de la Conversation.