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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/13

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homme précisément dans le beau sens où l’employaient, au XVIIe siècle, M. de la Rochefoucauld et le chevalier de Méré. Lorsque Voltaire disait en plaisantant :

Nos voleurs sont de très honnêtes gens,
Gens du beau monde…[1],


il détournait déjà un peu le sens et le parodiait, en lui ôtant l’acception solide qui, au XVIIe siècle, n’était pas séparable de l’acception légère. C’est ainsi que Bautru, dès long-temps, avait dit, en jouant sur le mot, qu’honnête homme et bonnes mœurs ne s’accordoient guère ensemble ; franche saillie de libertin ! L’honnête homme alors n’était pas seulement, en effet, celui qui savait les agrémens et les bienséances, mais il y entrait aussi un fonds de mérite sérieux, d’honnêteté réelle, qui, sans être la grosse probité bourgeoise toute pure, avait pourtant sa part essentielle jusque sous l’agrément ; le tout était de bien prendre ses mesures et de combiner les doses ; les vrais honnêtes gens n’y manquaient pas.

Les dames surtout savaient vite à quoi s’en tenir, et quand on avait tout dit, tout expliqué, elles demandaient quelque chose encore ; ce quelque chose, dit Méré, « consiste en je ne sais quoi de noble qui relève toutes les bonnes qualités, et qui ne vient que du cœur et de l’esprit ; le reste n’en est que la suite et l’équipage. » Le chevalier recommande beaucoup cet entretien des dames ; c’est là seulement que l’esprit se fait et que l’honnête homme s’achève, car, comme il le remarque très bien, les hommes sont tout d’une pièce tant qu’ils restent entre eux.

En revanche, vers le même temps (et ceci complète le chevalier), Mlle de Scudéry observait de son bord que « les plus honnêtes femmes du monde, quand elles sont un grand nombre ensemble (c’est-à-dire plus de trois), et qu’il n’y a point d’homme, ne disent presque jamais rien qui vaille, et s’ennuyent plus que si elles étoient seules. » Au contraire, « il y a je ne sais quoi, que je ne sais comment exprimer (avouait d’assez bonne grace cette estimable fille), qui fait qu’un honnête homme réjouit et divertit plus une compagnie de dames que la plus aimable femme de la terre ne sauroit faire[2]. » Quand on sent si vivement des deux côtés l’avantage d’un commerce mutuel, on est bien près de s’entendre, ou plutôt on s’est déjà entendu, et la science de l’honnête homme a fait bien des pas.

On sait peu de chose sur la vie du chevalier de Méré ; la date de sa naissance est restée incertaine comme le fut long-temps celle de sa mort. Il était né, dit-on, vers la fin du XVIe siècle ou au commencement du

  1. L’Enfant prodigue, acte III, scène II.
  2. Conversations sur divers sujets, par Mlle de Scudéry, article de la Conversation.