Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à main armée, il n’y avait point eu en Valachie de joie aussi universelle et aussi vraie que celle qui salua le prince Bibesco arrivant au trône valaque dans le costume de Michel-le-Brave, retrouvé tout exprès pour cette fête nationale.

Le roumanisme semblait en effet avoir accompli un grand pas ; dans les deux principautés, sa situation était également forte. En Moldavie, s’il n’avait point envahi la politique courante, s’il avait dû se retrancher dans la science et les lettres, il n’avait à se plaindre que de l’indifférence du prince et non de son inimitié. En Valachie, après avoir été méconnu par Alexandre Ghika, il avait agité le pays, entraîné une assemblée, et porté au trône un prince qui était presque selon ses vieux. Les Fanariotes alarmés se virent avec dépit exclus de nouveau des grandes positions qu’ils occupaient ; ils se crurent d’abord abandonnés par la Russie, ils s’irritèrent de la concession qu’elle avait faite ainsi bien malgré elle au parti des vieux Valaques, et plus le prince caressait l’opinion dans les premiers jours de son règne, plus les Grecs remuaient ciel et terre pour entraver son administration. Si, en effet, le prince eût été vraiment Roumain, il n’y avait plus de chances de le renverser, et son âge peu avancé éloignait pour long-temps tout espoir d’une nouvelle élection.

L’attitude des Grecs, comme celle des Valaques, n’était que le résultat d’une méprise, et l’illusion ne devait pas long-temps durer. Soit que le prince Bibesco n’eût été guidé que par l’ambition du pouvoir, où ses belles manières lui permettaient de briller à son aise, soit que la Russie réclamât le prix des services qu’elle lui avait rendus, bientôt on le vit s’éloigner du jeune parti national en s’appuyant sur les moins libéraux des vieux Valaques, puis repousser toute solidarité avec le roumanisme, fermer l’assemblée nationale, gouverner plusieurs années sans contrôle, enfin chercher toutes ses inspirations en dehors du mouvement national d’où lui est venue sa fortune politique. Peut-être la constitution valaque serait-elle encore aujourd’hui suspendue, si la Porte Ottomane, qui semblait avoir perdu le souvenir de ses droits de suzeraineté et qui laissait trop volontiers le pays livré aux intrigues gréco-russes, n’avait, après l’avènement d’un ministère éclairé et européen, reporté ses regards sur les principautés. La fidélité des Valaques méritait bien cette sollicitude ; leur intérêt l’exigeait. C’était pour la Turquie une occasion précieuse de leur rendre quelque grand service dont ils lui seraient reconnaissans. Le sultan vint donc au secours des Valaques en ordonnant, lors de son voyage en Bulgarie, que le prince Bibesco rouvrît l’assemblée nationale, et en donnant à entendre que le nouveau ministère turc ne permettrait point au protectorat d’empiéter trop visiblement sur les droits de la suzeraineté. La constitution valaque fut ainsi remise en vigueur, et bien qu’en faussant la loi électorale, le prince