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de cet enfant que son père vantait avec tant d’assurance. Giovanni partit pour Urbin, avec la ferme résolution d’emmener son fils et de le confier au Pérugin. La mère de Raphaël n’entendit pas sans pâlir le projet de son mari ; elle pleura en voyant partir l’enfant qui jusque-là ne l’avait jamais quittée ; elle couvrit de baisers les tresses blondes où elle avait si souvent promené son regard attendri. Cependant l’espérance d’une prochaine réunion adoucit l’amertume des adieux, et Raphaël suivit son père à Pérouse. Le Pérugin, en examinant les dessins de son futur élève, ne put se défendre d’un mouvement de surprise et se sentit disposé à partager les orgueilleuses espérances qu’il avait d’abord accueillies en souriant. Il découvrait dans ces figures, tracées par la main d’un enfant, une grace et en même temps une grandeur dont il n’eut jamais le secret, et qui ne pouvaient manquer de l’étonner. Il éprouva bientôt pour Raphaël une affection toute paternelle et suivit ses progrès avec un zèle assidu, avec une admiration croissante. Il fut d’abord touché et bientôt flatté de la docilité de son élève. Chacune de ses leçons portait ses fruits ; dès qu’il avait expliqué en quelques mots un des principes de son art, l’intelligence de Raphaël le saisissait avidement, le fécondait par la réflexion, et bientôt sa main enfantait sans hésiter une œuvre dont le maître s’étonnait à bon droit. Quoique Pérugin eût de lui-même une très haute opinion, quoiqu’il vît dans le nombre et la popularité de ses compositions un légitime sujet d’orgueil, il ne tarda pas à comprendre, comme Giovanni de’ Santi, que son élève en savait autant que lui. Plein de confiance dans le talent qui avait grandi sous ses yeux, il associa sans hésiter Raphaël à ses travaux. Raphaël justifia pleinement la confiance de son maître, et poussa si loin la fidélité de l’imitation, que bientôt il fut impossible de distinguer dans un tableau les figures qui lui appartenaient de celles qui appartenaient au Pérugin. Le jeune Sanzio avait si bien réussi à s’identifier avec son maître, il avait pénétré si complètement, il s’était approprié avec tant de bonheur tous les secrets du style qu’il devait plus tard agrandir et transformer ; en attendant l’heure où il pourrait se montrer lui-même, il avait enrôlé toutes ses facultés au service d’une pensée qui n’était pas la sienne avec tant d’abnégation, que sa manière se confondait avec celle du Pérugin et trompait les yeux les plus clairvoyans. Cette abolition volontaire de toute personnalité, qui certes n’eût pas été sans danger pour une nature de second ordre, ne fut pour lui qu’une épreuve dont il sortit vainqueur. Plus tard, quand il reconnut toute la sécheresse, toute l’indigence de cette première manière, pour l’oublier complètement, pour dépouiller sans retour les habitudes que son goût condamnait, il eut à soutenir une lutte courageuse ; mais tant que ses yeux ne furent pas dessillés, tant qu’il n’eut rien vu qui lui semblât supérieur aux œuvres du Pérugin, il les imita avec une docilité qui, en