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Dans la dernière salle décorée par Raphaël, il faut surtout étudier l’Incendie du Borgo vecchio. Je dis la dernière salle, car on sait que la salle de Constantin a été peinte par Jules Romain, d’après le carton de Raphaël, à l’exception de quelques figures allégoriques exécutées à l’huile par le maître même. Le Sacre de Charlemagne, la Justification du Pape, ne sauraient se comparer aux compositions dont nous avons parlé jusqu’ici, après les grands ouvrages que nous venons d’étudier, ces deux fresques semblent à peu près insignifiantes. Quant à la Bataille d’Ostie, il m’est impossible d’y découvrir le génie épique dont parlent à l’envi les critiques italiens. C’est, à mon avis, une des œuvres les moins heureuses de Raphaël. Il n’y a de vraiment important dans cette salle que l’Incendie du Borgo vecchio. Les principaux épisodes de cet incendie relèvent à la fois de Virgile et de Michel-Ange, de Virgile pour l’invention, de Michel-Ange pour l’exécution, du second livre de l’Énéide et de la voûte de la chapelle Sixtine. Certes, on ne peut contempler sans admiration cette fresque savante : cependant, en peignant toutes ces figures, dont les attitudes variées nous révèlent avec ostentation les connaissances anatomiques de l’auteur, Raphaël semble avoir fait violence aux habitudes de son génie. Les nus sont rendus avec un rare talent, avec une vérité qu’on ne saurait méconnaître, et pourtant cette composition n’excite pas dans l’ame du spectateur une émotion bien vive : c’est une lutte avec Michel-Ange hardiment engagée, habilement soutenue ; mais cette lutte a emporté Raphaël hors des voies qu’il était appelé à parcourir.

Cette remarque s’applique avec une égale justesse à l’Isaïe de l’église Saint-Augustin et aux Sibylles de Sainte-Marie de la Paix. Ici, en effet, c’est encore avec Michel-Ange que Raphaël engage une lutte courageuse, c’est avec les prophètes et les sibylles de la Sixtine qu’il veut se mesurer. Or, l’Isaïe de Saint-Augustin et les Sibylles de la Paix, malgré la grandeur et la beauté qui les recommandent ; sont plutôt le triomphe de la volonté persévérante que l’œuvre spontanée du génie. On peut, on doit les admirer comme le témoignage d’un savoir profond ; mais il faut bien reconnaître que Raphaël, en mettant le pied sur le terrain où marchait Michel-Ange, ne gardait pas toute la liberté, toute la grace de ses mouvemens.

Les cinquante-deux fresques dont se composent les loges du Vatican ne sont à proprement parler, qu’une suite d’improvisations. En voulant les juger comme des œuvres laborieusement méditées, on s’expose à les traiter trop sévèrement. Il y a certainement, parmi ces pages improvisées, plus d’une page où éclate dans toute sa splendeur le génie inventif de Raphaël ; mais souvent aussi on s’étonne de rencontrer dans cette série trop vantée des scènes dont l’auteur semble avoir méconnu l’importance ou qu’il a traitées avec une négligence singulière. À l’appui