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que fit Mme de Sévigné dans ce genre jusque-là si peu familier. Après Balzac, après Voiture, qui sont des épistolaires de profession, la charmante mère de Mme de Grignan sait être parfaitement naturelle et obéir à son propre génie, à son cœur, tout en soignant le détail plus qu’il n’y paraît, et en songeant bien un peu au monde qui attachait tant de prix alors à une lettre bien faite. Le chevalier de Méré, au contraire, est resté un épistolaire tout de profession ; et de démon familier, il n’en a pas. C’est un précieux qui continue de l’être alors qu’il n’y avait déjà plus de précieuses, ou qu’il n’y avait plus que la vieille Mlle de Scudery qui l’était encore. Les Lettres du chevalier offrent un continuel exemple de cette espèce de finesse et de subtilité qu’on peut retrouver dans les Conversations et les Entretiens publiés vers la même date par l’auteur suranné de Clélie. Comme pensée toutefois, comme coup d’œil moral, il est très supérieur à cette respectable demoiselle, et on ne saurait se figurer, avant de l’avoir lu ce qui se rencontre parfois chez lui de délicat comme observation et comme langue.

Le chevalier a marqué assez bien lui-même le ton de ses lettres dans un endroit où il discute la question de savoir s’il faut écrire comme on parle et parler comme on écrit[1]. Il remarque finement que les choses qu’on ne prononce jamais et qui ne sont faites que pour être lues des yeux, comme une histoire ou quelque composition d’un genre rassis, ne doivent pas s’écrire comme l’on ferait un conte en conversation ; l’histoire est plus noble et plus sévère, la conversation est plus libre et plus négligée. Et après avoir touché les harangues, il en vient aux lettres, lesquelles, dit-il, ne se prononcent point : « Car, encore qu’on en lise tout haut, ce n’est pas ce qu’on appelle prononcer ; on ne les doit pas écrire tout-à-fait comme on parle. » Pour preuve de cela, continue-t-il, si l’on voit une personne à qui l’on vient d’écrire une lettre, fût-elle excellente, on ne lui dira pas les mêmes choses qu’on lui écrivait, ou pour le moins on ne les lui dira pas de la même façon. « Il est pourtant bon, lorsqu’on écrit, de s’imaginer en quelque sorte qu’on parle, pour ne rien mettre qui ne soit naturel et qu’on ne pût dire dans le monde ; et de même, quand on parle, de se persuader qu’on écrit, pour ne rien dire qui ne soit noble et qui n’ait un peu de justesse. Ainsi, premièrement, il n’écrit point ses lettres comme il cause, et de plus, même quand il cause, il parle un peu comme un livre ; on voit d’ici le renchérissement qu’en doit prendre son style. Il se plaît à citer à ce propos son ami et son modèle, le maréchal de Clérembaut, « qui cherchoit autant d’esprit avec une femme de chambre entre deux portes que lorsqu’il parloit à la reine au milieu de toute la cour[2]. »

  1. Cinquième Conversation avec le maréchal de Clérembaut.
  2. Lettre 27e.