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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/168

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que certains enchaînemens de phrases présagent un enchaînement semblable dans les faits. Ce sont eux qui disent : Le monde a enregistré l’égalité devant Dieu au commencement de l’ère chrétienne, l’égalité devant la loi à la fin du XVIIIe siècle ; il ne lui manque plus que de réaliser l’égalité sociale.

Et ils se figurent avoir exprimé une idée sublime !

Ceux qui prêchent ces théories sont des insensés ou des criminels ; ceux qui les écoutent méritent plus de pitié. N’est-il pas naturel que les malheureux se laissent prendre aux maximes égalitaires ? L’ignorance les y dispose, l’envie les y pousse, la misère et les maladies les y contraignent ; pourquoi ceux-là sont-ils nés riches, doivent-ils se dire, et nous pauvres ? pourquoi reposent-ils, tandis que nous travaillons sans relâche ? pourquoi s’asseoient-ils à des tables somptueuses, tandis que nous mourons de faim sur la paille ? Est-ce juste ? et la société n’a-t-elle rien de mieux à nous offrir en perspective que la prison, si le désespoir nous conduit au crime, et pas même l’hôpital, quand nos forces sont épuisées ?

N’y a-t-il pas une vérité poignante au fond de ces plaintes ? Qu’y répondre, que faire ?

Prouver d’abord aux classes pauvres que la société s’occupe de leur venir en aide avec une constante sollicitude ; perdre moins de temps en beaux discours, et étudier davantage leurs intérêts et leurs besoins ; s’acharner moins aux questions de cabinet et prêter plus d’attention aux questions sociales. Prouver aux malheureux, avec la logique et le bon sens, que les riches ne sont pas cause de leurs peines ; leur faire comprendre le secret du mécanisme social ; leur démontrer que les valeurs d’une société réglée s’évanouissent quand cette société se trouble, parce que ces valeurs sont toutes de convention ; que l’or, l’argent, le crédit, l’intérêt des capitaux, tout cela n’est que convention pure, et disparaîtrait sous les décombres de la société ; que le jour où ils arriveraient tous au partage, tendant leurs mains sanglantes, il ne leur reviendrait pas par tête ce qu’ils auraient facilement gagné avec une journée de travail ; que l’inégalité sociale est une loi de nature ; que toujours il y aura des laborieux et des fainéans, des forts et des faibles, des braves et des timides, des gouvernans et des gouvernés ; que l’ordre est encore pour eux la plus favorable des conditions ; enfin, que l’humanité ne s’est jamais trouvée dans un siècle où les classes riches se soient plus préoccupées des classes pauvres ; que leurs maux y sont étudiés avec ferveur ; que les caisses d’épargne, les crèches, les salles d’asile, les écoles gratuites, les tontines, les ateliers de travail, les conseils de prud’hommes, etc., sont les plus intelligentes, les plus bienveillantes réformes qui se puissent inventer ; que là est la solution du problème.