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sans doute avec la nouvelle scène dont « le roi lui-même, dit Molière, lui avait ouvert les idées, et qui fut trouvée partout le plus beau morceau de l’ouvrage ; » mais il s’écoula près de trois mois avant que l’auteur pût montrer sa pièce au public de Paris. C’est qu’il s’était passé de singulières aventures à la suite de cette fête où elle avait paru. La fête de Vaux était du 17 août ; la représentation de Fontainebleau avait eu lieu avant le 27, car Loret en parle dans sa lettre de ce jour ; le 29, le roi partait pour la Bretagne ; le 5 septembre, à Nantes, il faisait arrêter le maître du logis où il avait été si magnifiquement régalé et l’auteur du prologue qui avait ouvert le divertissement. Il est probable que la comédie des Fâcheux fut pendant quelque temps enveloppée dans ces souvenirs odieux qu’il ne fallait pas réveiller, qu’elle dut d’ailleurs subir quelques changemens, afin qu’il n’y demeurât aucun vestige du malheureux patron qui en avait fait les frais. Un dauphin venait de naître à Fontainebleau le 1er novembre ; le 4 novembre, les Fâcheux parurent sur le théâtre du Palais-Royal. La pièce fut achevée d’imprimer le 18 février 1662.

Deux jours après celui qui sert de date à l’impression des Fâcheux, le 20 février, l’auteur de Sganarelle et de l’École des Maris contractait mariage, devant l’autel, avec une jeune fille. La femme qu’il prenait, suivant tous les témoignages, avait à peine dix-huit ans. Le seul acte où il soit parlé de son âge lui donne cinquante-cinq ans à sa mort, arrivée en 1700, ce qui la ferait née en 1645, partant ayant accompli tout au plus sa dix-septième année lorsque Molière l’épousa. Qu’était-elle et d’où venait-elle ? Ici se place le doute le plus étrange qui peut-être ait jamais pesé sur l’état civil de la personne la plus obscurément placée dans le monde. Il ne parait pas contestable qu’elle eût été élevée, surtout depuis quelques années, dans le ménage presque commun où vivaient Molière, Madeleine Béjart, d’autres encore de la même troupe. Une tradition non interrompue durant près de deux siècles, et qui eut même, du vivant de Molière, des résultats publics et cruels, avait reconnu cet enfant pour la fille ou pour une fille de Madeleine Béjart. Nul n’avait jamais dit, écrit, insinué le contraire, encore bien qu’un seul démenti à cet égard eût pu anéantir les accusations les plus graves contre l’honneur de celui qui devint son mari. La famille théâtrale qui l’avait vue, sinon naître, au moins grandir et prendre place dans ses rangs, savait parfaitement à quoi s’en tenir sur son origine et sur la femme qu’elle pouvait nommer sa mère. Cependant amis, ennemis, parlant du fait, les uns avec indifférence, les autres dans un but de diffamation, n’avaient jamais été contredits ni par les parties intéressées, ni par les critiques officieux ; mais voilà que, tout à coup, après cent quatre-vingts ans, en 1821, un acte est produit, suivi, en effet, mais non précédé, d’autres actes tout-à-fait concordans, qui établit authentiquement que celle qui fut toujours estimée la fille de Madeleine Béjart était réellement sa sœur, sa sœur très-cadette de vingt-sept ans environ, fille des mêmes père et mère, sœur des mêmes frères et sœurs. Cet acte est justement celui du mariage qui nous occupe. La veuve de Joseph Béjart, la mère de Madeleine, Marie Hervé, y figure, et présente la mariée comme sa fille, née d’elle et de défunt son mari. Louis Béjart, le seul des frères survivans, y est présent avec sa sœur Madeleine, et tous deux s’y disent frère et sœur de la mariée, laquelle a nom Armande Gresinde Béjart. Il est vrai que l’acte de baptême de celle-ci n’est pas rapporté, que toutes les recherches n’ont pu le faire découvrir ;