Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avons parlé de censures dirigées contre l’École des Femmes ; mais il ne faut pas s’y tromper. Rien de tout cela n’avait pris un corps de satire, de pamphlet, de dissertation. Le peu qu’en avait dit Donneau de Visé dans ses Nouvelles nouvelles ne touchait en rien aux reproches sérieux dont il est question, et c’était tout ce qu’on avait vu imprimé. Le passage même du Traité de la Comédie que nous avons cité n’était certainement pas encore écrit, et ne fut d’ailleurs publié qu’après la mort du prince de Conti, en 1666. Tout s’était borné à un bruit de paroles courant par le monde, et Molière lui-même avait pris soin de les recueillir pour leur donner une forme odieuse ou grotesque. L’initiative de la discussion publique avait donc été prise par la défense, et non par l’attaque. Ce fut seulement après l’impression de la Critique de l’École des Femmes, quand l’ouvrage principal avait déjà neuf mois d’existence, qu’on imagina d’entrer publiquement en lutte avec cet auteur qui tenait la lice tout seul, Mal en prit à celui qui s’y dévoua. Il y avait dans la Critique un trait mordant à l’adresse des comédiens. Ceux de l’hôtel de Bourgogne voulurent s’y reconnaître, et un jeune homme de vingt-cinq ans, qui déjà leur avait donné quelques pièces assez plaisantes, écrites en vers fort mauvais, se chargea de les venger. La pièce qu’il avait faite n’était pas jouée, elle était seulement affichée pour une représentation prochaine avec le nom de l’auteur, comme cela se faisait alors, que déjà Molière, toujours prompt dans ses colères, toujours et de plus en plus hardi dans ses procédés, l’avait foudroyée, le mot n’est pas trop fort ; et cela en pleine cour, devant le roi, avec moins de façons qu’il n’aurait pu en mettre vis-à-vis du public et chez lui.

La cour venait de quitter Vincennes (15 octobre) pour passer une semaine à Versailles. Un des jours de cette semaine, du 16 au 21, non pas le 14, comme dit l’édition posthume, on eut le divertissement de la comédie. Là, sur le théâtre royal, parurent Molière et ses camarades, non pas figurant des personnages, mais agissant et parlant pour leur compte, ainsi que cela se pratique aux répétitions intimes, quand l’huis de la salle est clos, quand les chandelles ne sont pas allumées, quand il n’y a de spectateurs ni aux loges, ni au parterre. Cette révélation de la comédie derrière le rideau, faite en un tel lieu et devant un pareil monde, pouvait sembler déjà passablement hasardée ; mais Molière ne s’en tint pas là. Dans cette enceinte, dont ceux qu’il attaquait ne pouvaient approcher, il livra au ridicule tous ceux qu’il croyait pouvoir compter parmi ses ennemis, d’abord les comédiens de la troupe rivale pris un à un et désignés par une imitation moqueuse de leurs gestes ou de leur débit, ensuite les gens du monde, marquis impertinens, précieuses, pédans, prudes, fâcheux et autres, puis enfin, et cette fois par son nom, avec une rudesse qui va jusqu’à la brutalité, l’imprudent auteur de la pièce seulement annoncée, Boursault, lequel était, au dire de tous, un galant homme, et un homme d’esprit, poésie à part. L’ouvrage de celui-ci, le Portrait du Peintre, ne fut représenté qu’après l’Impromptu de Versailles, et il est vraiment impossible d’y rien trouver qui justifie la violence de ces représailles anticipées. Molière n’en fit pas moins jouer son Impromptu sur le théâtre du Palais-Royal le 4 novembre. Le Portrait du Peintre parut imprimé quinze jours plus tard. L’Impromptu de Versailles ne le fut pas du vivant de Molière.

Dans cette dernière pièce avait figuré « Mlle Molière, » la jeune femme de