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l’auteur comédien, et un passage de la scène première nous apprend qu’elle avait déjà joué le rôle d’Élise, « satirique spirituelle, » dans la Critique de l’École des Femmes. Ainsi Molière, en se mariant, ne se bornait pas à prendre une compagne, il ajoutait à sa troupe une actrice, et il lui avait trouvé aussitôt son caractère, son emploi. Du reste, il ne parait pas qu’il y eût encore quelque chose à dire sur la conduite de celle-ci, et c’était avec une parfaite sécurité que Molière se faisait menacer par elle, sur le théâtre de la cour, de la punition réservée aux « manières brusques des maris. » Cependant, à ce moment même, sur le sujet de cette femme, quelque chose de plus périlleux pour l’honneur de Molière commençait à se répandre. Pour bien apprécier de quelle manière cette circonstance nous a été transmise, il faut savoir que Jean Racine, âgé de vingt-quatre ans, était depuis quelques mois revenu du Languedoc à Paris, où il faisait des odes et des stances, qu’il avait été inscrit cette année pour 800 livres sur la liste des pensions, et qu’il travaillait, pour le théâtre du Palais-Royal, à la tragédie des Frères ennemis. Nous retranchons à dessein de ces particularités, qui concernent Racine, le don que Molière lui aurait fait d’une somme de cent louis, parce que cette libéralité nous parait hors de toute vraisemblance, et qu’elle est purement de l’invention de Voltaire. Or, Racine écrivait, en novembre 1663, à un de ses amis : « Montfleury a fait une requête contre Molière et l’a présentée au roi. Il accuse Molière d’avoir épousé sa propre fille ; mais Montfleury n’est pas écouté à la cour. » Ce Montfleury était un acteur de l’hôtel de Bourgogne dont Molière s’était moqué dans l’Impromptu ; son fils, l’auteur dramatique, avait essayé de lui donner une revanche en composant une comédie satirique, pour laquelle le premier prince du sang, à ce qu’il parait, prêta son logis, et qui a pour titre : l’Impromptu de l’Hôtel de Condé. Le père, allant plus au but, voulut diffamer son ennemi. Il faut noter que personne au monde n’a vu cette requête, que nul en son temps n’en a parlé, qu’elle demeura sans effet, et qu’aucun de nous n’en aurait soupçonné l’existence, sans le soin charitable que mirent Racine le père à en donner avis dans une lettre, et Racine le fils à nous conserver ce témoignage d’une assez froide amitié. Le jugement du roi ne se fit pas attendre. Le 19 janvier 1664, la femme de Molière mit au monde un fils, et, le 28 février, il fut nommé au baptême « Louis, » par le duc de Créquy, tenant pour le roi, parrain, et par la maréchale du Plessis, pour Madame, marraine.

Dix jours après la naissance de ce fils (qui ne parait pas avoir vécu long-temps), Molière fournit encore aux plaisirs du roi une pièce improvisée. Il s’agissait d’accommoder une action comique pour huit entrées de ballet, dans l’une desquelles le roi voulait paraître en personne sous le costume d’un Égyptien. Molière reprit le personnage de Sganarelle, le vieillit de dix ans, et disposa autour de cette figure (29 janvier 1664) les risibles incidens du Mariage forcé. Ce n’était là qu’un prélude aux brillantes folies que devait éclairer, à Versailles, le soleil de mai. Cette fois, en effet, il ne s’agissait plus d’une après-midi consacrée à quelque invention de divertissement. C’était une série de jours qu’allait enchaîner l’une l’autre la succession de toutes les fantaisies dont se peuvent charmer les yeux et les oreilles, travestissemens, cavalcades, courses de bagues, concerts de voix et d’instrumens, récits de vers, festins servis par les Jeux, les Ris et les Délices, comédies mêlées de chants et de danses, ballets, machines, feux d’artifice, illuminations, courses de têtes, loteries, collations ; une semaine entière (du 7 au 14)