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Après dix ans et plus de cette vie, il était revenu à Paris, où on lui avait donné la salle du Petit-Bourbon. Là il avait débuté par des rôles tragiques où il avait toujours été sifflé. Enfin il avait tiré, de son sac de campagne, son Étourdi, puis son Dépit amoureux ; il avait ensuite fait Sganarelle, et ses grimaces avaient réjoui le public. Depuis, ce n’avait été qu’une suite de succès, et il comptait maintenant dix pièces qui faisaient sa fortune et celle de ses compagnons. La méchanceté de l’écrivain, qui rassemblait sous un tel jour des faits assez exactement recueillis, n’avait pas omis ce qu’on disait de son mariage. Elomire (acte premier, scène III) se vante d’être plus qu’un autre à l’abri des disgraces conjugales par le soin qu’il a pris de se forger une femme « dès avant le berceau. » C’est là aussi que se trouve, répétée avec une affectation cruelle dans plusieurs passages, l’allusion dont nous avons déjà parlé à cette toux funeste dont Molière était tourmenté. Du reste, nous ne voyons nulle part l’effet que put produire, en 1670, soit dans le public, soit sur Molière lui-même, cette odieuse satire, dont la curiosité historique de notre temps s’est plus occupée, ce nous semble, que ne l’avait fait, lorsqu’elle parut, la malignité des contemporains. L’auteur prétend il est vrai, dans la préface d’une seconde édition de sa pièce, datée de 1672, que son libraire, gagné par Molière, au lieu de vendre la marchandise qui lui était confiée, en avait refusé le profit, et qu’ainsi le public s’en était vu privé, ce qui aurait donné lieu à un procès où le juge ordonna la confiscation des exemplaires trouvés dans la boutique. Si la chose est ainsi, elle fait grand honneur à la librairie et à la justice.

En tout cas, que Molière ait dédaigné ce libelle ou qu’il l’ait étouffé, il est certain que ce ne fut pas même un événement de sa vie, et qu’il n’en reçut aucun trouble. Au mois de février 1670, le roi lui commanda un nouveau divertissement où devaient être rassemblés tous ceux que le « théâtre peut fournir, » et prit la peine de lui en indiquer « le sujet. » Molière composa, sur cette donnée, un pot-pourri de comédie, de pastorale, de pantomime, de machines et de ballets, qu’il appela les Amans Magnifiques. Il fit plus, il accepta la charge d’une besogne qui semblait appartenir à Benserade, et sur laquelle nous voyons qu’on se méprend toujours. L’occasion nous convie à l’expliquer. Les ballets de cour se composaient d’entrées, de vers et de récits. Les entrées étaient muettes ; on voyait s’avancer sur le théâtre des personnages dont le poète avait disposé les caractères, les costumes et les mouvemens, en leur donnant à figurer par la danse une espèce d’action. Le programme ou livre, distribué aux spectateurs, les mettait au fait de ce qu’étaient les danseurs et de ce qu’ils voulaient exprimer. De tout temps, on y avait joint quelques madrigaux à la louange des personnes qui devaient paraître dans les divers rôles, et c’était là ce qu’on appelait les vers, qui ne se débitaient pas sur la scène, qui n’entraient pas dans l’action, qu’on lisait, ou des yeux ou à voix basse, dans l’assemblée, sans que les figurans y eussent part, sinon pour en avoir fourni la matière. Les récits enfin étaient des tirades débitées ou des couplets chantés par des personnages qui ne dansaient pas, le plus souvent des comédiens, et se rapportaient au sujet de chaque entrée. Benserade, en dessinant les entrées et en rimant les récits, à peu près comme on faisait avant lui, s’était avisé de donner un tour vraiment nouveau à ses vers. Il y mêlait, avec esprit toujours, souvent avec hardiesse, des traits communs à la personne et au personnage, des rapprochemens tantôt flatteurs,