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tantôt piquans, entre le danseur nommé au programme et le rôle qu’il devait remplir. Ce n’était pas là sans doute une œuvre de grand mérite, mais on doit reconnaître qu’il y excellait, et cela depuis vingt ans, variant avec un singulier bonheur des plaisanteries ou des douceurs dont le texte changeait rarement. Pour juger de ce qu’il savait faire en ce genre, il suffirait de voir combien de fois il réussit à vanter les solides mérites du marquis de Soyecourt, ou à excuser la laideur du marquis de Genlis. Le dernier ouvrage de cette espèce qu’eût alors écrit Benserade était le Ballet royal de Flore, dansé par le roi au mois de février 1669, et, dans un rondeau adressé aux dames, il avait annoncé qu’il renonçait à ce métier. Molière eut ordre de l’y remplacer, de sorte que, dans le divertissement royal de 1670, sauf le sujet, qui venait du roi, tout ce qu’on voyait, tout ce qu’on entendait, tout ce qu’on lisait était de sa façon. Il paraît certain que, comme tous ceux qui ont abdiqué, Benserade se montra jaloux de son successeur, et fit, avant la représentation, quelque moquerie de deux méchans vers destinés à être chantés dans la pastorale. Molière s’en vengea en parodiant, dans les vers faits pour le roi, la manière dont son prédécesseur tournait la louange ; mais il n’essaya pas de l’imiter dans l’épigramme. Les courtisans, comme à l’ordinaire, rirent beaucoup en voyant contrefaire ce qu’ils avaient coutume d’applaudir, et Benserade se trouva joué sur son propre terrain. C’est là toute la vérité d’un petit fait raconté fort clairement dans la préface des œuvres de Benserade, rendu inintelligible par Grimarest, et embelli par un annotateur moderne de la présence d’un grand seigneur (le duc de Brezé) mort en 1646. — Pour achever ce qui regarde les Amans Magnifiques, nous dirons que le roi y dansa deux fois, avec les attributs de Neptune et d’Apollon, encore bien que Racine eût donné depuis deux mois (13 décembre 1669) sa tragédie de Britannicus.

Une nouvelle occasion de réjouir le roi se présenta huit mois plus tard, le 14 octobre 1670, à Chambord, et inspira plus heureusement Molière ; il y donna le Bourgeois Gentilhomme. Suivant un récit qui se trouve partout, et qui vient de Grimarest, la pièce aurait médiocrement diverti la cour, et le roi lui-même, par espièglerie, aurait réservé son jugement jusqu’à la seconde représentation, après laquelle il se serait déclaré fort satisfait. Nous ne voyons nulle part, et il est contre tous les exemples en chose pareille, que le Bourgeois Gentilhomme ait été joué deux fois de suite dans le même lieu. La cour en eut bien une seconde représentation, mais à Saint-Germain, le 12 ou 13 novembre, et le 23 il parut sur le théâtre du Palais-Royal. Au carnaval suivant (1671), Molière fut chargé d’inaugurer, par une pièce du genre noble et à grand spectacle, la salle des Machines, que le roi avait fait construire aux Tuileries. Il prit pour sujet la vieille fable de Psyché, qui venait d’être rajeunie par La Fontaine (1659) ; mais la prose de Pourceaugnac et du Bourgeois Gentilhomme ne suffisait plus quand il fallait faire parler les dieux. Le temps manquait à Molière pour mesurer et accorder tous les vers dont on avait besoin. Il lui fallait un aide qui fût en état de donner la façon aux morceaux qu’il avait tout taillés ; il prit pour cela le sexagénaire Pierre Corneille, cet athlète vétéran, mais non invalide, que la défaite d’Agésilas et d’Attila (1666-1667) n’avait pas abattu, et auquel il avait, presque la veille (28 novembre 1670), prêté son théâtre et ses acteurs, dans la lutte engagée avec le jeune Racine sur le sujet de Bérénice. La préface de la pièce imprimée,