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il prend plaisir à dévoiler les nuances les plus insaisissables de son être, les secrets d’une ame impressionnable et avide de mouvement, d’une intelligence pleine d’éclairs, curieuse de nouveauté et enivrée d’indépendance. Celles-là mêmes de ses œuvres où se fait sentir la préoccupation des règles, des conditions d’un genre littéraire consacré, et où il semble qu’il y ait le moins de place pour les saillies imprévues de la personnalité, laissent percer quelque chose de cette nature libre et originale, ne fût-ce que par le choix des sujets. On l’a vu déjà dans ce projet de comédie sur Quevedo ; il en est de même d’un roman et d’un drame historiques, — el Doncel de don Enrique et doliente et Macias. Macias est le héros des deux ouvrages, et ce n’était point par un hasard vulgaire ou par pénurie d’imagination que Larra revenait ainsi, à plusieurs reprises, vers l’antique poète galicien qui eut la gloire de bégayer les premiers accens de la poésie castillane et le malheur de payer de sa vie une passion exaltée de son cœur : c’était le pressentiment vague d’une destinée semblable qui lui dictait cette préférence. Larra cherchait et apercevait un peu de lui-même dans Macias, en déroulant le tissu des aventures à demi réelles, à demi imaginaires du vieux poète, en invoquant tour à tour pour les reproduire la muse de Scott et celle de Calderon. Cependant le roman, le drame, sont encore des formes littéraires trop détournées, trop indirectes pour une pensée si vive, et ce n’est point par ces œuvres qu’on pourrait connaître l’humoriste espagnol ; c’est par cet ensemble d’écrits, — essais, physiologies politiques, études de mœurs, morceaux littéraires, fantaisies satiriques, fragmens d’ironique philosophie, — qu’il laissait chaque jour tomber de sa plume, selon les sollicitations du moment, et dont le recueil compose un de ces livres brillans et variés dans le genre des Essais d’Élia de Lamb ou des Conversations de table d’Hazlitt. Larra se trouve à l’aise dans ce cadre familier qui se prête à tous les caprices ; là il se peint tout entier avec une naïveté fidèle. L’œil peut saisir, pour ainsi dire, chaque linéament de ce caractère qui a conservé quelque chose de mystérieux pour bien des Espagnols. Dans l’écrivain, on voit à nu l’homme variable, changeant, passionné, sceptique, plein de désirs et d’inconstance et toujours cruellement clairvoyant. Une telle étude n’offre-t-elle pas un intérêt psychologique autant que littéraire ?

Larra n’est pas d’ailleurs seulement son propre historien ; il est l’historien de l’Espagne contemporaine, non dans ce que la vie publique au-delà des Pyrénées a de simplement apparent et d’artificiel, mais dans ce qu’elle a de plus caché et de plus dramatique. Son génie scrutateur ne s’arrête pas aux événemens, aux changemens de ministères, aux révolutions de palais ou de corps-de-garde, — vain et trompeur mirage ! Il pénètre plus profondément : c’est aux mobiles inavoués des partis et des hommes qu’il s’attaque, aux contradictions des opinions, à