la fausseté des situations. Chacune de ses pages qui vous semble le fruit d’un esprit léger et paradoxal est un commentaire plus vrai que la réalité qui est sous vos yeux. Une locution familière, — nadie pase sin hablar al portero (personne ne passe sans parler au portier), Dios nos asista ! (Dieu nous assiste),-suffira pour provoquer sa railleuse méditation, pour qu’il résume dans une fiction amusante tous les vices du passé, pour qu’il peigne en se jouant cet enfantillage d’un peuple inhabile à se conduire, sans cesse occupé à défaire l’œuvre de la veille, flottant entre toutes les directions, dégoûté de lui-même enfin et invinciblement tourné vers l’imitation. Il créera une association bizarre de mots, — el Hombre-Globo (l’homme-ballon), — pour représenter ces ambitions illégitimes qui prospèrent par le hasard dans un temps de désordre, sans qu’on sache sur quoi elles s’appuient. Quel publiciste a mieux fait apparaître l’incurable corruption d’une nation long-temps stationnaire et engourdie dans sa misère oisive ? Quel politique a mieux vu et caractérisé ce mélange sur le même sol de générations et de classes diverses entre lesquelles il n’y a nulle cohésion, qui, jetées tout à coup dans une voie nouvelle, semblent ne se plus comprendre, se divisent, s’isolent, et par leurs divisions et leur isolement paralysent l’essor général du pays ? Qui a plus hardiment mis à nu cette plaie immense de la décomposition d’un grand peuple ? Larra n’a pas exprimé avec moins de puissance cet affaiblissement des croyances morales qui signale toute époque livrée à l’orage des révolutions ; il a fait plus d’ailleurs qu’en offrir l’expression dans ses ouvrages, il en a été par lui-même l’exemple le plus éclatant, la personnification la plus tragique, puisqu’il a succombé à ce mal inguérissable : observateur pénétrant et implacable, dont le bon sens n’a point d’égal tant qu’il ne se laisse point altérer par l’excès du dédain, dont la fantaisie a mille vivacités charmantes tant qu’elle ne se perd pas dans l’amertume et le dégoût, mais qu’on voit bientôt passer insensiblement de la gaieté heureuse à l’éloquence injuste d’un cœur ulcéré ! Quelques années ont suffi pour flétrir ainsi la maturité précoce et forte de cet esprit plein de sève. Larra était presque un enfant en 1832 ; il est mort vieux en 1837, — vieux par l’ame et par l’intelligence, après avoir acquis en courant, sous le nom deux fois illustre de Figaro, une popularité qui n’échappait pas elle-même à la violence de son sarcasme. La vie tout entière de ce glorieux railleur est dans l’éclat de ce contraste ; l’intérêt qui s’attache à l’homme comme à ses œuvres est dans cette transformation graduelle, dans la différence de l’observation, de l’ironie et des peintures, selon les progrès de ce désenchantement dont Larra portait le germe en lui.
Il y a dans une révolution qui s’annonce, dans cet horizon nouveau qui s’ouvre, quelque chose de salubre et de vivifiant qui éveille la confiance dans les esprits, favorise les illusions, communique à toutes les