Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

composent une masse nationale soumise à une même impulsion, de ce défaut absolu d’harmonie ne voit-on pas naître cette indécision des esprits, cette fragilité des combinaisons, cette absence de maturité et d’à-propos, cette impuissance des hommes, ces demi-mesures, ces réactions que l’auteur du Pobrecito Hablador poursuit sous toutes les formes avec une gaieté cruelle et instructive, et qui ont prolongé pour l’Espagne la série des violences hasardeuses et des incidens vulgaires ?

Sous le voile de ses caprices toujours renaissans et toujours divers, de ses spirituelles et libres inventions, Larra aborde ainsi les points les plus vifs de la politique. Sa verve suffit aux accidens, aux anomalies, aux excès de chaque jour qu’il rend saisissans pour tous les yeux en les marquant d’un trait ineffaçable. La révolution espagnole a son histoire dans cette polémique satirique, dans ces fragmens sérieux sous des titres frivoles, — la Junte de Castel-o-Branco, les Circonstances, Dans quel monde vivons-nous ! l’Avantage de faire les choses à moitié, les Lettres d’un libéral, Figaro de retour ; elle s’y révèle à chacune de ses périodes, dans ses faiblesses, dans ses incohérences, dans ses vices les plus actuels. Peut-on cependant ranger Larra parmi les pamphlétaires ? Ce serait, sans doute, donner une idée d’un certain côté de ce rare talent ; mais n’est-il pas aussi bien d’autres points par lesquels il échappe à cette désignation un peu trop précise ? Un pamphlétaire, dans le sens rigoureux du mot, n’est-il point en effet la sentinelle avancée d’une opinion, l’organe aventureux des griefs et des espérances d’un parti ? Homme d’une situation le plus souvent, promoteur de quelque idée momentanément en souffrance, vengeur d’un sentiment public offensé, il va droit à son but, laissant derrière lui les politiques prudens se livrer à leurs calculs, dissimuler leurs prétentions, le renier parfois en profitant de ses victoires. L’impartialité n’est point le mérite de cet esprit plus vif que large, plus perçant qu’étendu, qui n’aperçoit d’habitude qu’un côté des questions et ne s’occupe qu’à rechercher le point vulnérable de son ennemi pour y enfoncer l’aiguillon de sa colère ou de son sarcasme. La justice retarderait l’élan de sa parole acérée. Il est dans la nature du pamphlétaire de remplacer l’ampleur et la supériorité des vues par la hardiesse agressive, par l’intensité de la raillerie ou de la passion, sous quelque forme littéraire qu’elle se déguise. Il n’en est pas ainsi de Larra, qui est moins un pamphlétaire qu’un penseur, moins l’homme d’une situation, d’une idée, d’une vengeance, que l’observateur sincère et inépuisable de tous les phénomènes d’une révolution, moins l’auxiliaire d’un parti que le peintre plein de nouveauté du mouvement de toutes les opinions, et en un mot le libre humoriste d’un pays dont il compare lui-même les agitations à « un de ces jeux de mains mystérieux et surprenans pour qui en ignore l’artifice secret. » Au sein de ce tourbillon, la justesse de son