Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon sens triomphe sans effort. Échappant par l’indépendance de son ironie à l’influence périlleuse de passions factices, aux faux jours de systèmes sans rapport avec l’état de l’Espagne, il se contente d’être le spectateur clairvoyant de toutes les folies qu’engendre la domination de ces passions et de ces systèmes ; il raconte, raisonne, médite, raille, multiplie les points de vue, et parfois son imagination vient donner aux vérités qu’il observe un relief particulier, une couleur poétique inattendue qui indique mieux ce qu’il y a de variété dans son génie. Tel est le fragment où il veut décrire ce malaise qui naît pour un peuple d’un demi-savoir, du pressentiment vague d’une vie meilleure à laquelle il aspire, mais dont il ne sait pas encore les conditions. « Quand un pays, dit-il, approche du moment critique d’une transition, et que, sortant des ténèbres, il commence à voir briller une légère lumière, il n’a pas eu le temps de connaître le bien, mais il sent le mal dont il prétend se délivrer, aimant mieux courir les chances d’un état nouveau pour lui. Il lui arrive alors ce qui arrive à une belle jeune fille sortant de l’adolescence : elle ne connaît ni l’amour ni ses joies ; son cœur cependant ou la nature, pour mieux dire, commence à lui révéler des besoins qui vont devenir plus pressans, dont elle a en elle-même le germe et qu’elle a les moyens de satisfaire, bien qu’elle ne le sache pas. La vague inquiétude de son ame qui cherche et désire, sans deviner quoi, la tourmente et la dégoûte de son état actuel comme de celui où elle vivait naguère ; on la voit alors mépriser et rejeter tous ces jouets qui faisaient peu avant l’enchantement de son existence ignorante. » Ne semble-t-il pas que ce soit un poète lyrique qui parle ? A côté cependant vous retrouverez la veine aristophanesque, la fantaisie incisive et hardie. Vous pourrez voir dans l’Hombre-Globo cette étrange classification politique et sociale, empruntée à la physique, de l’homme-solide, l’homme-liquide et l’homme-gaz ; les analogies imprévues jailliront sous la plume de l’auteur.


« L’homme-solide, dit Larra, est cet homme compacte, ramassé, obtus, qui séjourne dans les régions inférieures de l’atmosphère humaine. Il ne peut vivre qu’au contact de la terre. C’est l’Antée moderne, l’homme-racine, le solide des solides. Une absence presque totale de calorique le maintient dans un tel état de condensation, qu’il occupe le moins de place possible dans l’espace. Vous le reconnaîtrez d’une lieue : son front est incliné, son corps se courbe, ses yeux ne fixent aucun objet, il voit sans regarder, et c’est pourquoi il ne voit rien clairement. Lorsque quelque cause qui lui est étrangère le met en mouvement, il rend un son confus, barbare, profond comme celui de ces masses énormes qui se détachent au moment du dégel dans les contrées polaires… L’homme-solide couvre la face du globe. C’est la base de l’humanité, de l’édifice social. Comme la terre soutient tous les corps et les empêche de se précipiter vers le centre, l’homme-solide est le point d’appui de tous les autres hommes. C’est de cette espèce