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autres peuples, l’Espagne n’a qu’à la consacrer à s’étudier elle-même, à rechercher ses propres sentimens, à écouter ses pulsations intérieures, à se rendre compte de ses besoins, de ses tendances et de ses idées. C’est de ce travail que pourra sortir une littérature vraiment nationale par le fond et par la forme ; c’est ainsi que l’Espagne pourra voir reparaître dans les écrits, à quelque genre qu’ils appartiennent, cette couleur naturelle et distincte qui varie suivant les hommes, suivant l’ordre de travaux auquel ils s’appliquent : — l’originalité, en un mot, qui se dégage insensiblement dans toutes les révolutions de l’intelligence.

Cette originalité littéraire dont la première source est dans le sentiment exact de la vie morale d’un pays et d’une époque, et qui se manifeste par l’éclat particulier d’une forme propre et spontanée, Larra est assez heureux pour la posséder, lorsque si peu d’écrivains autour de lui en ont le secret. Tout ce qui tient, en effet, à la rénovation intellectuelle de l’Espagne, — travaux politiques, œuvres de la scène, poésie lyrique, — se ressent des influences étrangères sous lesquelles cette rénovation s’accomplit. L’incertitude de la pensée, chez la plupart des publicistes et des poètes, se trahit par l’absence du style ou par une abondance confuse de couleurs empruntées à toutes les littératures européennes. Gil y Zarate, l’un des plus remarquables auteurs dramatiques, n’écrit qu’imparfaitement. Zorrilla se livre souvent à un archaïsme brillant qui est un jeu pour son imagination. Espronceda, le plus audacieux des poètes, qui, dans son ébauche étrange du Diablo-Mundo, a essayé de montrer ce qu’engendrerait de dégoût l’union, dans l’homme, de l’éternelle jeunesse du corps et de la vieillesse prématurée de l’ame, a échauffé son imagination à la lecture de Faust ou de Manfred, et est mort trop jeune pour avoir pu se soustraire à l’imitation, pour avoir pu acquérir l’originalité entière de l’idée et de l’expression. Hartzenbusch est peut-être un des écrivains qui ont le mieux réussi à assouplir la langue moderne, à lui donner une correction nouvelle, à trouver la vraie mesure de la forme littéraire. Larra s’élève au-dessus de tous par l’originalité qu’il s’est faite et a un rang à part dans la renaissance contemporaine de l’art espagnol. Ses images sont nettes, précises, colorées et justes. Son style est serré et nourri, étincelant et substantiel ; plein d’une force native, il ne se pare pas de fausses richesses, ne se traîne pas dans les lieux-communs ; il est clair, accentué, rapide, quelquefois mêlé d’affectation, de détails d’une subtilité excessive, de hardiesses peu scrupuleuses, mais toujours fidèle à la pensée qu’il exprime. L’auteur du Pobrecito Hablador se rattache à une tradition d’écrivains qui représentent l’art littéraire en Espagne à un point de vue sous lequel on ne l’envisage pas d’habitude. Pour ceux qui étudient superficiellement les littératures, le génie castillan est essentiellement fougueux et hyperbolique, naturellement empreint d’une exagération