qu’il y a de vague poésie, de poignante incertitude, de douloureux effroi, d’aspirations et de regrets dans un temps de transition. Restituez-lui son vrai caractère : c’est un des premiers héros de cette littérature de l’exception qui a fait de l’antithèse le ressort unique de son art nouveau, qui s’est mise à vanter la probité méconnue des voleurs, à déifier la pureté des courtisanes, à relever toute abjection, à entourer de ses préférences tout être portant au front le signe de la rébellion, et qui a fini par se mettre en dehors de la nature comme de la société.
Que cette littérature âcre et fébrile réponde à quelques instincts qui fermentent au sein de la société française, ce n’est point là, au surplus, la première des préoccupations de Larra ; ce qui est certain pour lui, c’est qu’elle n’est point vraie en Espagne, et il peint l’influence contagieuse qu’elle exerce avec une énergie familière et pittoresque. « La vie, dit-il, est un voyage ; celui qui l’entreprend ne sait point où il va, mais il croit aller au bonheur. Un autre, qui est parti avant lui et qui revient déjà, le rencontre sur le chemin et lui dit : Où vas-tu ? pourquoi tant d’empressement ? Je suis allé jusqu’où on peut atteindre. On nous a trompés : on nous a dit qu’au terme de ce voyage on trouvait la paix et le repos ; sais-tu ce qu’il y a au bout ? Il n’y a rien. — Que répondra l’homme qui s’acheminait péniblement ? Il dira : S’il n’y a rien, il ne vaut pas la peine d’aller plus avant. Et cependant il faut marcher, parce que, si le bonheur n’est nulle part, il est cependant indubitable que le plus grand bien-être, pour l’humanité, est le plus loin possible. Dans un tel cas, l’homme qui est venu proclamer qu’il avait découvert le néant ne mérite-t-il pas l’exécration de celui qu’il détrompe ? -Voilà ce que font pour nous ceux qui veulent nous donner la littérature de la France, la dernière littérature possible, celle qui exprime la réalité nue et horrible, et ils nous causent encore un plus grand dommage, car eux, au moins, avant d’en arriver là, ils ont goûté tous les plaisirs imprévus du chemin, ils ont eu l’espérance. Qu’ils nous laissent plutôt les distractions du voyage et ne nous désenchantent pas au moment du départ ! S’il n’y a rien à la fin, qu’ils nous laissent le soin de le découvrir ! Si, au bout de la route, nous ne devons pas trouver de verger délicieux, jouissons du moins des fleurs qui bordent notre chemin !… » Sans doute tout n’est point admissible ici, et on pourrait aisément répondre que la France elle-même ne se reconnaît point dans ces images grossièrement enluminées, où il ne reste rien de sa noble figure ; mais, au fond, on voit nettement saisie la différence des civilisations, l’une avancée déjà, mûrie et travaillée par momens de ces dégoûts passagers que produit l’expérience ; l’autre à peine renaissante, incertaine et accessible à toutes les influences. Le danger imminent pour la Péninsule est signalé : c’est l’imitation exagérée, qui ne peut faire éclore que des œuvres factices. La force qu’elle emploie à s’inoculer la pensée des