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À cette époque, Shelley était épris d’une jeune parente auprès de laquelle s’était écoulée son heureuse enfance, et qu’il venait de retrouver après une assez longue séparation. « Elle rappelait, nous dit le biographe du poète, les héroïnes de Shakspeare et faisait songer aux madones de Raphaël. » Ce fut chez le jeune homme un sentiment profond, un dévouement pur et complet. On retrouve, après bien des années, l’empreinte de ce premier amour dans un fragment sans titre et sans date. Shelley parle de deux enfans qu’on eût pris pour deux jumeaux, tant ils ressemblaient l’un à l’autre. Il est aisé de le reconnaître et de reconnaître miss Harriet Grove sous ces noms italiens de Cosimo et de Fiordispina. Chez le premier, une passion nouvelle obscurcit l’image de l’idole encore adorée ; mais, si elle n’est plus l’objet de cet amour inconstant, elle est restée l’amour lui-même, planète brillante au sein des sphères célestes, et réglant les mouvemens d’une intelligence pour jamais soumise.

He faints, dissolved into a sense of love ;
But thou art as a planet sphered above,
But thou art love itself - reeling the motion
Of his subjected spirit…

Le cousin et la cousine s’écrivirent long-temps, de l’aveu de leurs parens, qui ne voyaient aucun mal à cette affection mutuelle, et n’en devaient que plus tard redouter les conséquences. Miss Grove composa même, sous la direction de Shelley, quelques chapitres des romans qu’il écrivit sous le charme de ses premières lectures. Que ne s’en tenaient-ils à ces terribles fictions, au fond si parfaitement innocentes ? Mais Shelley venait d’entrer à Oxford. Plus que jamais il se plongeait dans la chimie, et, qui pis est, dans la métaphysique. Or, pour un esprit sans contre-poids, pour une ame sincère, l’étude de la philosophie est semée d’abîmes. Là, plus qu’ailleurs, le doute est au seuil de la science, et les premiers rayons de lumière peuvent aveugler.

Pour peu qu’on ait étudié la curieuse histoire des révoltes de l’esprit humain, on a gardé le souvenir de cette initiative singulière que l’Angleterre prit au XVIIe siècle, et des leçons d’incrédulité qu’elle nous donna hautement. Elle avait, il est vrai, reçu des leçons des néo-platoniciens d’Italie et des sceptiques français, Rabelais, Montaigne, Charron, La Boétie ; mais en définitive Hobbes, Toland, Tindal, Shaftesbury, Bolingbroke, ont fourni à la philosophie de Voltaire tout ce que celle-ci eut de réellement, de sérieusement subversif. En même temps, et par un contre-échange assez notable, tous les défenseurs du christianisme attaqué, les adversaires du rationalisme, Foster, Leland, Boyle, Clarke, Tillotson, Lardner, Pearce, s’inspiraient de nos théologiens, de nos orateurs sacrés. Pascal, Fénelon, Bossuet, leur venaient en aide. De