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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/265

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relevées par les critiques attestent chez elle cette espèce d’asservissement, ou, si l’on veut, de fidèle et docile admiration, qu’expliquent la souplesse ingénieuse, la délicatesse du talent de mistriss Hemans, et l’indépendance, la force initiative qui caractérisent l’esprit de Shelley[1].

Un mariage mal assorti allait clore la jeunesse désastreuse et tourmentée du poète. Conséquent avec lui-même, ce négateur intrépide ne se soumettait à aucune autorité, ne reculait devant aucune de ses inspirations. En allant voir sa sœur dans un pensionnat aux environs de Londres, il aperçoit dans le jardin, parmi les fleurs, une de ses compagnes, belle blonde de seize ans, au front candide, aux yeux bleus et tendres. Frappé de cette beauté angélique, il s’abandonne aussitôt au charme qui l’attire. Sa sœur se prête à nouer une correspondance entre lui et miss Westbrook, dont le prénom. Harriett, — le même que celui de mils Grove. — était à la fois un remords et un charme de plus. En quelques semaines, le roman fit de rapides progrès. La jeune pensionnaire se disait victime de la tyrannie paternelle ; elle acceptait, elle appelait un libérateur. Shelley, qui voyait tout à travers le prisme singulier de son imagination, n’hésita pas à prendre l’hôtel garni de M. Westbrook pour un de ces châteaux du moyen-âge où gémissaient les damoiselles éplorées, M. Westbrook lui-même, honnête landlord, pour un farouche tyran. Il se prêta donc au désir de la charmante Harriett, qui voulait être enlevée, et courut l’épouser par-devant le forgeron classique de Gretna-Green. Il avait alors dix-neuf ans, et n’avait pas vu sa prétendue plus de six fois.

On sait ce que deviennent d’ordinaire les mariages conclus sous de pareils auspices. Celui de Shelley ne fit pas exception à la règle. Le jeune couple, soutenu pendant quelque temps par un oncle de Shelley, vieux marin, héros de Trafalgar et ami de Nelson, essaya de la vie des champs ; mais la chaumière où ces deux enfans allèrent abriter ce qu’ils avaient pris pour de l’amour était louée à raison de trente shellings la semaine ; le capitaine Pilford ne pouvait pas subventionner régulièrement le ménage de son neveu. Sir Timothy Shelley, peu flatté de voir son fils allié à une façon d’aubergiste, avait supprimé, irrévocablement supprimé, la pension de deux cents livres qui avait été jusqu’alors l’unique ressource du jeune étudiant. Il fallut donc vivre d’emprunts, engager son avenir à des usuriers, et encore n’étaient-ce là que des moyens précaires, une existence de troubles et d’angoisses au sein de laquelle périt bientôt l’enthousiasme passager que mistress Shelley avait inspiré à son époux. Après deux ans de vagabondage et de misère, les deux jeunes

  1. De tous les poèmes de mistriss Hemans, le Sceptique est celui où le panthéisme de. Shelley se retrouve le plus fortement empreint.