la religion complice de ces énormes forfaits. Il la montre absolvant à prix d’or le vice audacieux ; il la montre encore servant de masque aux trahisons les plus indignes. C’est ainsi qu’il place auprès de Béatrix menacée, tremblante, cherchant appui, un jeune ambitieux, neveu d’un cardinal, promis aux plus hautes dignités ecclésiastiques, qu’elle regarde un moment comme son défenseur naturel. Orsino, — c’est son nom, — a promis de renoncer pour elle aux grandeurs qui l’attendaient. Des terreurs qu’elle éprouve auprès de son père, de l’esclavage par lequel ce monstre prétend réduire l’énergie de cette ame indomptable, l’hypocrite Orsino s’est dit qu’il ferait autant d’armes contre la noble et candide enfant qu’il espère attirer dans ses bras. Nulle pitié, nulle générosité au fond de ce cœur vicié par l’astucieuse politique de la caste à laquelle il doit appartenir un jour. Nul remords chez ce prêtre futur, qui sait déjà comment le remords s’exploite. Ses désirs immondes sont à peine contenus par la crainte de se démasquer trop tôt et le respect involontaire que commande aux plus effrénés l’imposante sérénité d’une ame sans reproche.
Ce caractère, simplement et fortement accusé, fournit à Shelley des effets éminemment tragiques, et nous ne connaissons pas, dans le théâtre anglais moderne, une scène supérieure à celle où Béatrix Cenci, toute palpitante d’horreur, après la lutte horrible où elle a succombé, se retrouve entre sa mère et ce faux ami dont, la veille encore, elle se croyait la fiancée. Quand il arrive, le premier délire est apaisé. Béatrix a tout dit à sa mère. Le calme du désespoir est empreint sur son pâle visage.
« Ami, lui dit-elle, soyez le bien-venu. Depuis notre dernière entrevue, j’ai subi un outrage si grand, si étrange, que, vivante ou morte, il n’est plus de repos pour moi. Ne m’en demandez pas le récit ; il est des actes monstrueux, sans forme, indescriptibles : il est des souffrances forcément silencieuses.
ORSINO. — Qui donc a pu vous infliger cet outrage ?
BÉATRIX. — L’homme que l’on appelle mon père. Mon père ! .. nom redoutable !
ORSINO. — Serait-ce ?…
BÉATRIX. — Ce que cela est ou n’est pas, évitez, croyez-moi, d’y songer. Cela est, cela fut, cela ne doit plus être. Donnez-moi donc vos conseils. Je songeais à mourir : une sorte de terreur religieuse m’arrête au seuil du sépulcre ; je crains aussi que la mort elle-même n’éteigne pas en moi la conscience d’un crime resté sans expiation. De grace, parlez !
ORSINO - Dénoncez le coupable, et que la loi vous venge.
BÉATRIX. — Oh ! conseiller au cœur de glace ! trouverais-je un mot pour révéler le forfait dont je suis victime ? Quand ma langue, pareille au scalpel acéré, pourrait retrancher de mon cœur cette souillure secrète qui le dévore ; alors même que ma renommée sans tache, par cette impossible révélation, serait livrée à tous, et deviendrait la fable des plus vils, la risée publique, un mot en l’air, un